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Rav Sitruk zal

A une semaine de Roch Hachana 5777, le 25 septembre 2016, le Rav Yossef ’Haïm Sitruk nous quittait, plongeant dans le deuil et l’affliction toute la communauté française à travers le monde.

Une foule impressionnante de Juifs éplorés ont assisté aux Hespédim organisés en la grande synagogue de La Victoire, à Paris, et près de 7.000 personnes se sont déplacées jusqu’au Mont des Oliviers, à Jérusalem, pour l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure et lui rendre hommage. De grandes personnalités du monde orthodoxe étaient également présentes. Durant la semaine de deuil, des milliers de visiteurs sont venus consoler la famille, depuis l’aube pour les Sli’hot, jusque tard dans la nuit. Ils venaient de tout Israël, de France et même des Etats-Unis. Depuis, une myriade de témoignages d’affection, de reconnaissance, et d’admiration n’a cessé d’affluer à destination des proches. Il fut appelé « lumière du judaïsme français » et « guide spirituel pour toute une génération » par de grands Rabbanim… Beaucoup de non-Juifs ont également exprimé leur peine et leur admiration envers cet homme qu’ils ont un jour croisé ou bien fréquenté plus assidûment.

Comment expliquer un tel engouement ? Comment justifier que tant de personnes aient été inspirées par ses paroles, par ses enseignements ? Comment des milliers de personnes ont-elles pu être touchées par son aura, influencées au point de changer radicalement leur façon de vivre et de penser ? Comment a-t-il réussi à faire revenir tant de Juifs à leurs racines et à la pratique des Mitsvot ?

L’on pourrait arguer du fait que d’autres Rabbanim orthodoxes avant lui avaient activement œuvré à préparer le terrain, rendant le sol français fertile à l’éclosion d’une nouvelle ère pour le judaïsme communautaire. Et qu’il ne fut pas le seul à entretenir les jeunes pousses…

L’on pourrait bien sûr évoquer son charisme, son éloquence et son humour… Il avait certes une façon extraordinaire, bien à lui, de transmettre les préceptes de la Torah, dans une approche à la fois captivante et divertissante.

Et l’on pourrait aussi définir la raison de ce formidable mouvement par son dynamisme et sa motivation sans faille. Il fut effectivement à l’origine de nombreux grands projets innovants, visant à transmettre et à répandre la connaissance de la Thora, tels que le Yom Halimoud et le Yom Hatorah, dont le succès n’est plus à démontrer.

L’on pourrait certainement… Et tout cela serait parfaitement vrai.

 

Il est pourtant un point particulier, un point fondamental, un point qui transcende tous les autres, et qui pourrait à lui seul expliquer la profonde affection que tant de gens lui vouaient et qui fut, indubitablement, à la base de leur engagement.

Nous voulons parler de l’Amour qu’il éprouvait pour chaque Juif, cet Amour intense et sans condition qu’il ressentait pour chaque Néchama juive, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne. Il était un père, un frère, un ami… pour tous, et surtout pour chacun.

Ainsi que l’a expliqué son gendre, le Rav Fresh, lors de son discours à la fin des Chiva, « La joie de chaque Juif était la sienne : pas une fois on ne l’a vu rester indifférent à la joie d’une personne, et inversement, lorsqu’un Juif venait lui confier ses soucis, il prenait sa peine sur lui et ressentait sa douleur, souvent au point d’en avoir les larmes aux yeux. »

Rav Yakov Sitruk, a d’ailleurs déclaré dans une interview accordée au journal Le P’tit Hebdo, peu après le décès de son père :

« Il se sentait proche de chacun, concerné par tout le monde. Il n’y avait pas de barrière entre lui et l’autre. Dans une société où on érige sans cesse des barrières pour marquer notre territoire, pour se protéger, lui jamais. Il n’a jamais eu peur, ni du regard, ni de la présence des autres. Il arrivait à créer un contact très fort. Il a développé un amour qui a été la dynamique de sa vie. (…) Mon père adorait rappeler l’image de la flamme : une flamme, on peut la partager, sans la diminuer. Notre père était exactement comme cela. Il n’a jamais été un père privé, il a toujours été un père public ».

Et il a aussi affirmé que le fait d’être le fils de quelqu’un d’aussi grand, ne lui a jamais fait de « l’ombre » pour grandir lui-même… : « Quand on vit dans une telle lumière, dit le Rav Yakov, et que l’astre est si énorme, il ne nous fait pas d’ombre, il nous éclaire ! »

Chaque Juif, qu’il fasse partie de ses élèves ou non, était considéré par lui comme un fils. Un fils dont il fallait ouvrir le cœur à l’Amour d’Hachem… Car il était avant tout un véritable Eved Hachem, Serviteur de D.ieu. « Sa vie, c’était Hachem, affirme encore Rav Yakov, et son objectif était de faire aimer Hachem des autres, d’aider ceux qui ne le connaissent pas, à le connaître ». Et il avait, pour ce faire, des arguments face auxquels il était difficile de résister : sa gentillesse et sa sensibilité, sa douceur et sa chaleur, son sourire et son regard bienveillant, sa disponibilité et son écoute.

Et plus encore que cela, son Amour était perçu et reçu, parce qu’il était un homme de Emeth, un homme de Vérité. Vrai dans ses valeurs et dans ses convictions, vrai dans ses propos et dans ses manifestations d’affection. Rien, en lui, n’était feint. Et même lorsque les choses qu’il avait à dire étaient susceptibles de soulever une polémique, pour peu que cela consistât à défendre l’honneur de la Torah, il les disait !

Chlomo Hamélèkh écrit dans Michlée  (Proverbes) : « Comme dans l’eau le visage répond au visage, ainsi le cœur de l’homme répond-il à l’homme ». Ce qui signifie que le cœur d’un homme a ceci de particulier qu’il peut percevoir les sentiments dont il est l’objet, dans le cœur d’une autre personne. Même si des paroles sont mielleuses, elles ne seront généralement pas pleinement admises par celui qui les reçoit, si elles ne sont pas empreintes de vérité. Inversement, même s’il s’agit de remontrances, elles seront pratiquement toujours acquises si elles sont teintées d’un véritable amour. Plus l’amour émis est puissant, plus les paroles pénètrent profondément le cœur d’autrui…

Ainsi était le Rav Yossef ’Haïm Sitruk. Un homme au cœur débordant d’Amour pour Hachem et pour Son Peuple, mais aussi pour tous les non-Juifs qu’il rencontrait sur son chemin.

 

 

 

Enfant du soleil

 

Tunis, octobre 1944. La grande bataille pour la Libération fait encore rage dans une Europe à feu et à sang, tandis que l’extermination des Juifs se poursuit implacablement à l’Est dans un effort de cruauté décuplé.

Libérée depuis 1943 par les troupes américano-britanniques aidées des Forces Françaises, la Tunisie – autrefois elle aussi occupée par la Bête nazie – coule des jours relativement paisibles. Elle tâche de panser ses blessures en se restructurant. La population juive de Tunis s’organise pour venir en aide aux réfugiés des villes autrefois bombardées, endommagées ou entièrement détruites ; la communauté fait d’ailleurs preuve d’une entraide formidable. Les Juifs – qui ont toujours été protégés par le pouvoir en place – sont bien ancrés dans le pays, et participent activement à la vie politique et économique.

C’est dans ce contexte que le petit Joseph – nommé d’après son oncle maternel, disparu dans la fleur de l’âge – voit le jour au sein de la famille Sitruk. Jo a déjà un grand frère, Sion, de deux ans son aîné, et il sera suivi d’encore deux sœurs (Gisèle et Sylvia) et d’un frère (Pierrot). Les cinq enfants grandissent dans un cocon chaleureux, fait d’amour, de rires et de tendresse, couvés par leur mère Emma, digne mère juive tunisienne. La famille est unie et la joie règne dans le foyer : les cris et les coups n’ont pas leur place dans l’éducation qui y est prodiguée. L’exemple et la dignité priment sur les remontrances, la générosité et la tolérance sur les punitions.

Jacques, le père, est avocat au barreau. C’est un homme très cultivé, passionné d’Histoire, et particulièrement brillant. Excellent orateur, il engage ses enfants à être de très bons élèves et à s’exprimer dans un français parfait. Pour autant, il reste un « bon vivant » et n’est jamais à court de plaisanteries. Il possède également des terrains en association dans le sud du pays, d’immenses champs de blé (où les enfants passent des heures à jouer durant leurs visites) entretenus par un gérant et du personnel logés sur place.

Emma est dotée d’une énergie extraordinaire, entièrement dévouée à sa maisonnée mais aussi entourée de nombreux amis, aimant sortir et participer à toutes sortes d’activités. C’est une femme pourvue d’un courage et d’une volonté incroyables, d’un optimisme et d’une joie inaltérables.

Jo, lui, est un enfant doux et délicat, presque chétif, de santé fragile. Il lui faut d’abord se battre pour survivre, et ses parents sont souvent inquiets à son sujet. Mais il grandit et se renforce avec l’âge. Avec son sourire quasi constant sur les lèvres et sa nature agréable, il est naturellement aimé de tous. Bien que ses parents ne soient pas pratiquants, il grandit dans une ambiance juive et en pleine conscience de son identité. Il gardera un souvenir particulièrement tendre de sa grand-mère paternelle, Ayala, qui vit avec eux depuis son veuvage, et à laquelle il se sent très attaché. D’une foi ardente et très pieuse, celle qu’il appelle « maman Yaya » est sans nul doute une source d’inspiration pour le petit garçon, même si cela reste inconscient à cette époque. Jo s’épanouit dans un environnement paisible, où le stress et l’angoisse n’existent pas. Comme il l’écrira lui-même dans ses deux livres, son enfance en Tunisie ne lui laisse que des souvenirs heureux. Une enfance ensoleillée au bord de la mer, enivrée des parfums du jasmin.

Pourtant, les temps sont troublés. La situation politique est loin d’être stable, et la communauté juive elle-même connait de profondes mutations qui marqueront indéniablement le jeune Jo, tout juste adolescent, et traceront ses premiers pas d’adulte.

Depuis 1881, la situation économique et culturelle de la communauté juive avait prospéré à la faveur du protectorat français. Durant l’occupation allemande, la protection du pouvoir tunisien et la libération du pays en 1943 avaient empêché les nazis d’y appliquer leur ” solution finale “. Après la guerre, la diffusion généralisée de la langue et de la culture françaises avait contribué à la modernisation de la population juive. Jacques Sitruk, le père de Jo, ne fait d’ailleurs pas exception à la règle et, bien que croyant et traditionnaliste, il voue lui-même une grande admiration à la France. Puis rapidement, l’émancipation était aussi passée par le sionisme (dès 1945 et dans les années qui suivirent, des milliers de jeunes choisirent de devenir pionniers en Israël) et par le communisme.

L’application stricte de la Halakha se perd chez les jeunes générations, mais une sorte de fierté communautaire se met en place. L’Union des étudiants juifs de France, installée aussi à Tunis, joue un grand rôle dans cette perspective : l’étudiant Juif n’a plus honte désormais d’afficher son appartenance à la communauté. On parle de « nouvelle jeunesse juive », pour laquelle la culture, le sport et le scoutisme prennent une place prépondérante.

Au niveau politique, les choses aussi évoluent… Dans les années 1953, débutent les nombreuses et incessantes attaques nationalistes contre le système colonial, aboutissant à l’indépendance de la Tunisie en 1956. Le 25 juillet 1957, l’abolition de la monarchie est votée à l’unanimité et le nationaliste Habib Bourguiba est proclamé président de la nouvelle République. Bourguiba, qui lutte pour une modernisation de la société tunisienne, édite un grand nombre de réformes émancipatrices : le système judiciaire ne sera pas épargné et sera désormais placé sous la responsabilité de l’État. Les réformes entreprises touchent aussi la population juive : le tribunal rabbinique est supprimé et remplacé par « une Chambre de statut personnel intégrée dans les juridictions civiles ».

En 1958, deux évènements majeurs sonnent le glas de la quiétude pour la famille Sitruk. Le FLN (Front de Libération Nationale d’Algérie), introduit sur le sol tunisien, poussent les fellaghas à perpétuer des attaques armées contre les ressortissants français et contre les arabes ayant travaillé pour les Français : les employés agricoles de Monsieur Sitruk en subissent les frais, et la ferme est investie par les combattants tunisiens. D’autre part, le gouvernement proclame que tous les avocats sont dorénavant obligés de plaider en arabe, ce qui finit de persuader le père de famille de la nécessité de quitter le pays au plus tôt – surtout pour l’avenir de ses enfants. Il choisira Nice, lieu de résidence de sa sœur, pour sa qualité de vie similaire à Tunis.

Durant les années qui suivront, la majorité des Juifs feront de même, en émigrant progressivement soit vers la France à laquelle ils sont restés culturellement attachés, soit en Israël.

Arrivée à Nice

Avant la fin de l’année, Joseph Sitruk – devenu un adolescent de 14 ans, dynamique et malicieux – atterrit donc à Nice pour une nouvelle vie. Là aussi, il y a le soleil et là aussi, la vie est joyeuse.

Après avoir travaillé quelques mois comme employé dans une entreprise d’emballages plastiques, son père accède à une place de conseiller juridique. La famille habite désormais un bel appartement – dont la serrure est cassée, mais que l’on ne jugera pas nécessaire de faire réparer, puisqu’une une maison se doit de rester ouverte à tous ! C’est ainsi, en effet, que l’on conçoit l’hospitalité dans la famille Sitruk. Situé au cœur de la ville, l’appartement est placé juste à côté des Galeries Lafayette… et des deux synagogues en service. Poussé par sa grand-mère, Jo commence alors à se rendre à l’office du vendredi soir. Les enfants, qui fréquentent l’école publique en semaine, découvrent le Oneg Chabbat du samedi et le Talmud Torah du dimanche.

Parmi les quelques cours dispensés, Jo assiste à ceux de l’épouse du jeune rabbin fraîchement débarqué à Nice lui aussi, le Rav Chaoul Naouri (fils du Grand-Rabbin Ra’hamim Naouri). Elle y enseigne l’hébreu, matière à laquelle le jeune adolescent trouve peu d’intérêt. Il y fait preuve d’espiègleries et semble n’être jamais à court de facéties, comme il le confiera lui-même avec humour lors d’une soirée donnée en hommage au Rav Naouri, des décennies plus tard. Pourtant, ces cours laisseront en lui une empreinte indélébile. Ce sont ses premiers pas dans le monde orthodoxe, ses premières acquisitions quant à la connaissance du judaïsme.

C’est d’ailleurs dans la classe de la Rabbanite Nicole Naouri qu’il rencontrera celle qui deviendra plus tard son épouse, son amie, sa sœur, une véritable Ezer Kénegdo – une aide à ses côtés, indéfectible et inébranlable, quelle que soient les épreuves : Danielle Azoulay.

Danielle, issue d’une famille religieuse, est la camarade de ses sœurs au sein des Eclaireurs et Eclaireuses Israélites de France (E.E.I.F.), mouvement de scoutisme juif fondé avant la guerre par Robert Gamzon et son équipe.

Après quelques temps de réticence, Jo se laisse convaincre par sa sœur Gisèle et par un copain tunisien retrouvé à Nice, et accepte d’entrer lui aussi dans les E.I.

Bien lui en a pris, car c’est pour lui une véritable révélation ! Selon sa sœur Sylvia, interrogée par le P’tit Hebdo, c’est là qu’il s’est « senti l’âme de transmettre, de donner » ; c’était comme si « d’un seul coup, une plante était sortie de terre ! ». Montrant des aptitudes évidentes de leader et d’organisateur, il devient rapidement Chef de patrouille. Son beau-frère, le Rav Eliahou Azoulay, qui l’a connu à cette période, affirme : « Face aux erreurs et aux regrets des jeunes dont il avait la charge, il agissait exactement comme Yossef HaTsadik avec ses frères… Il leur faisait prendre conscience de leurs manquements, les enjoignait à ne pas recommencer et les poussait à faire Téchouva en s’imposant des restrictions auxquelles il participait lui-même ! » Il a déjà cette délicatesse et cette sensibilité qui lui permettent de savoir comment s’adresser aux autres sans les froisser, comment guider et diriger avec amour, selon des convictions solides.

Il est d’ailleurs totémisé (surnommé officiellement au sein des E.I.) Taureau Assis. « Taureau, explique encore le Rav Azoulay, parce qu’il était tel un taureau qui fonce lorsqu’il avait décidé de faire quelque chose, et Assis, parce qu’il était avant tout un homme équilibré et posé : il réfléchissait à tout, avant, pendant et après l’action. »

C’est aux E.I. qu’il commence à entrevoir les profondeurs jusque-là insoupçonnées de la Torah. Il y apprend l’hébreu, ainsi que des notions de pensée et d’histoire juive. Aussitôt, il sent son âme vibrer et se passionne pour l’étude des traditions et certaines œuvres de Rabbanim, comme le Ich OuBeito du Rav Eliahou Kitov qui traite des lois de la maison juive. Sa soif d’apprendre est insatiable, son élan impossible à modérer. Le feu qui brûle en lui est alors tellement ardent qu’il ressent le besoin de coucher ses sentiments sur le papier, en tenant une sorte de journal intime (extraits du livre « Chemin faisant » – p.36) : « Ce que je fais, je le fais pour la gloire de D.ieu » y écrit-il. Et encore : « Oh, mon D., si j’écris ainsi c’est pour permettre à mon âme de s’épancher pendant un cours instant. Je suis heureux, comblé. Je sens que la Torah est quelque chose de merveilleux. Je voudrais m’en approcher comme une source en plein désert. Aide-moi à être digne de Toi. Je suis écrasé par mes désirs et j’aimerais m’élever. J’ose à peine croire qu’un jour cela sera possible. Aide-moi à me comporter selon Ta Volonté. Tiens, aujourd’hui, je vais essayer de respecter et d’honorer mes parents le plus possible et de répondre gentiment à tout le monde. »

Craignant les moqueries de ses proches, il commence à prier et pratiquer en cachette. Mais assez rapidement, avec l’appui conjoint de sa meilleure amie Danielle (avec laquelle il a déjà décidé, de façon très platonique, d’une future vie commune) et de ses sœurs, Gisèle et Sylvia, il parvient à introduire une pratique plus rigoureuse au sein du foyer parental. Jacques et Emma s’y plient d’ailleurs de bonne grâce, jugeant favorablement ce retour aux sources de leurs enfants ; pour eux, cela semble même aller de soi. A la même époque, il économise sou par sou pour s’acheter une paire de Téfilines neuves qu’il portera ensuite quotidiennement sans faillir.

Parallèlement à ce cheminement spirituel, Jo poursuit ses études profanes et se prépare à l’examen du baccalauréat, section « math-élem ». Doté d’une vive intelligence et d’une extraordinaire mémoire visuelle, il envisage de faire Maths Sup et Maths Spé pour devenir ingénieur. Mais, à 17 ans, il se sent déjà irrésistiblement attiré par le judaïsme et les études saintes. Pour ceux qui le côtoient, il ne fait aucun doute qu’il possède toutes les qualités pour être un dirigeant communautaire. Il a un don pour captiver son auditoire et faire passer ses messages en douceur. Il est indéniablement tourné vers l’Autre, en toute occasion. Tous l’apprécient et le respectent, pour son dynamisme, sa tolérance, son amour envers chacun et son aptitude à donner sans restriction. Cela n’échappe d’ailleurs pas au Rabbin Chaoul Naouri, qui le considère plus apte à des études rabbiniques qu’à une carrière d’ingénieur.

La Hachgara Pratit intervient à ce moment précis, pour lui donner un petit « coup de pouce »… Reçu à l’examen d’entrée de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) auquel il s’est présenté, Jo est en revanche recalé à celui du baccalauréat – en raison d’une simple erreur de calcul dans l’épreuve de maths !

L’année suivante, tandis qu’il redouble sa Terminale, il fait face à un dilemme :

« Jo ! lui demande sans fioriture le Rabbin Naouri, pourquoi ne deviendrais-tu pas Rabbin ? » Et il lui conseille d’aller étudier au Séminaire rabbinique de son beau-père, le Grand-Rabbin Henri Schilli, à Paris.

Jo est sceptique… Cette perspective n’a jamais été envisagée et est loin de ses ambitions professionnelles. Pourtant il voit se profiler à l’horizon un avenir qui le fait rêver.

La première chose qu’il fait est d’aller en parler à Danielle, avec qui il compte se fiancer prochainement. Très enthousiaste, elle lui répond : « Mais c’est formidable ! Vas-y, fais-le ! » et elle l’assure de son soutien total.

Il ne lui reste plus désormais qu’à obtenir l’accord de son père. Toutefois, lui annoncer l’affaire n’est pas simple : Jacques espère, et s’est depuis longtemps fait à l’idée, que son deuxième fils sera ingénieur en mathématiques, filière à laquelle il a lui-même aspiré dans sa jeunesse sans avoir pu la suivre. Son fils aîné, lui, a d’ailleurs choisi de faire médecine… D’autre part, Jo sait que son père vient à peine de digérer la déception que lui a procurée son échec au baccalauréat. Comment va-t-il réagir à cette « bombe atomique » ?

Pourtant, les craintes du jeune homme se révèlent infondée, puisque son père lui déclare en substance : « Soit. Mais ce que tu fais, quoi que tu fasses, fais-le bien ! »

Fort de ce principe qu’il fera sien tout au long de sa vie, il prend la décision d’intégrer l’école rabbinique en 1964, en compagnie de deux autres camarades niçois, son cousin Charly Bismuth et son ami Henri Hassoun.

Au moment où les trois amis s’apprêtent à quitter Nice, ils apprennent que le Rav Chaoul Naouri a annoncé sa démission suite à des attaques répétées qu’il ne veut plus subir. Malgré sa consternation, Jo considère cette décision comme un exemple extraordinaire de cohérence, de bravoure et de dignité. Bien des années plus tard, il exprimera son admiration et son immense reconnaissance au Rav Chaoul Naouri et à son épouse, en disant qu’il leur doit d’avoir dirigé sa vie dans le chemin qui fut le sien, en l’ayant suivi et conseillé tout au long de son parcours.

Formation au Séminaire Rabbinique

A tout juste 20 ans, après avoir obtenu son baccalauréat au deuxième essai, Jo entame donc ses études à l’Ecole rabbinique de Paris, dite aussi Séminaire Israélite de France (SIF), à la rue Vauquelin, pour un cursus de 5 années de formation. Le grand-rabbin Henri Schilli, père de Mme Naouri, en assure la direction, tout en endossant le rôle d’aumônier des Eclaireurs Israélites de France (EIF). L’enseignement est vaste et de haut niveau : Guémara, Tanakh, philosophies juive et classique, français, grammaire hébraïque, pédagogie… et bien sûr préparation aux diverses fonctions du rabbinat.

La première année, Jo et Charly sont logés en internat à l’École Gilbert Bloch à Orsay, où le rabbin Schilli enseigne également. Ils y suivent l’enseignement du soir, en plus de leur cursus du séminaire : on peut dire qu’ils ne chôment pas ! Pour Jo, les débuts sont difficiles. Du fait de sa Téchouva tardive, son niveau est très inférieur à celui des autres élèves : ils lisent la Guémara couramment, tandis que lui peine à déchiffrer l’hébreu sans voyelles… Mais, bien entendu, ce ne sont pas ce genre de détails qui vont le décourager. Il s’accroche, passant tout son temps libre à la bibliothèque pour consulter des ouvrages de référence. Il se lie d’amitié avec Jean Lévy, un Alsacien, qui deviendra sa ’Havrouta pendant cinq ans. A sa grande joie, c’est au Séminaire qu’il retrouve le Rav Naouri (ayant quitté ses fonctions rabbiniques officielles), non seulement dans le rôle d’enseignant bénévole au sein de l’institution, mais également en tant que compagnon d’étude lors de ses temps libres.

Parmi ses enseignants, le Rav Emmanuel Chouchena (qui deviendra, quelques années plus tard, le directeur de l’établissement) lui laisse un souvenir marquant. Plus tard, Jo dira que c’est par son mérite qu’il possède une telle aisance à exprimer des Divré Torah. Tous les élèves du Séminaire savaient en effet qu’il valait mieux ne pas croiser le Rav Chouchena dans les couloirs sans être bien préparé… Inévitablement, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, il apostrophait celui qui avait le « malheur » de le rencontrer en lui lançant : « Dis-moi un ’Hidouch ! » Aussi, chacun s’efforçait d’avoir toujours à « portée de bouche » une nouvelle interprétation de la Torah, au cas où. Rav Chouchena leur avait appris qu’un Juif doit toujours avoir un ’Hidouch dans la poche et ne doit jamais avoir honte d’enseigner la Torah à celui qui en sait moins que lui! Car le rôle du Juif, disait-il, est de transmettre. D’autres éminents Rabbanim, bien sûr, l’éclaireront de leur savoir et de leur dévouement : Rav Gugenheim, Rav Touati, Rav Jaïs, Rav Schill, Rav Sirat, entre autres.

L’année suivante, en décembre 1965, il épouse Danielle et le couple s’installe à Villejuif où Jo fonde sa première communauté. Lui prépare les garçons pour la Bar-Mitsva et obtient une bourse, elle, donne des cours de piano et de Torah. Ensemble, ils s’en sortent modestement (et mangent souvent des pâtes !) mais vivent heureux, bientôt comblés par la naissance de leur première fille, Rébecca.

Au bout de deux ans, croyant améliorer sa situation matérielle, il accepte le poste d’assistant pédagogique à l’école Maïmonide de Boulogne où il sera logé « tous frais payés ». Loin de s’améliorer, la situation se révèle encore pire qu’avant… mais la fonction auprès des jeunes, elle, est exaltante ! Sa relation avec les élèves est tellement bonne, que l’année suivante, en 1968, le directeur sortant de l’internat lui confie sa place.

Un an après les évènements majeurs de la « Guerre des Six Jours » et de l’euphorie qu’elle engendre, la jeunesse juive se retrouve plongée au cœur de bouleversements de nature tout à fait différente : ceux de « Mai 68 ». Jo n’hésite pas à participer aux manifestations, sans se soucier du regard que certains pourraient poser sur sa kippa, portée ostensiblement.

Tout au long de ses études, Joseph Sitruk est un étudiant assidu, plein de verve et de passion, animé de la flamme propre au Baal Téchouva, avec un but bien précis et original pour l’époque : celui de diffuser à grande échelle, en France, l’orthodoxie juive chère à son cœur en la rendant accessible à tout un chacun. Et il comprend rapidement que pour ce faire, il va falloir créer une dynamique nouvelle dans le discours adressé aux fidèles…

Vers la fin de ses études rabbiniques, en mars 1969, alors qu’il est censé choisir son orientation et passer son examen final, trois opportunités s’offrent à lui, de façon tout à fait inattendue. Le Grand-rabbin de Paris, Meyer Jaïs, lui offre le poste de directeur de l’enseignement religieux (soit la gestion de 250 professeurs de Talmud Torah !), tandis que, la même semaine, les communautés de Grenoble et de Strasbourg le sollicitent pour devenir le Rabbin de leur ville. Jo n’est pas tellement séduit par l’idée de rester dans la capitale, d’autant plus que le Rav Chaoul Naouri émet quelques réticences lorsqu’il lui demande conseil. Alors, il s’arme de courage et rappelle le Grand-Rabbin Jaïs pour lui dire qu’il ne se sent pas capable d’assumer la charge que celui-ci lui propose. Finalement, il opte pour Strasbourg et part se présenter à la commission administrative qui le passe au crible, puis l’engage en acceptant sa condition : disposer de quelques mois pour aller étudier en Israël, avant de prendre ses fonctions.

Aux sources des Maîtres du Talmud, en Terre Sainte

Fraîchement diplômé du Séminaire, le Rabbin Joseph Sitruk découvre émerveillé le monde de l’étude de la Torah, à Bné Brak. Après avoir entreposé toutes ses affaires en attente, à Strasbourg, il est parti « à l’aventure », en bateau, avec son épouse, sa fille de deux ans et un fils nouveau-né, Yakov. Le voyage a duré quatre jours et l’arrivée a été chaotique, mais ils ont finalement réussi à s’installer dans la banlieue orthodoxe de Tel-Aviv – un nouvel univers époustouflant. Le premier Chabbat est un choc pour Joseph et Danielle, quelque chose d’inimaginable et merveilleux : pas une voiture en circulation, pas un magasin ouvert et des milliers de personnes qui déambulent dans les rues, en route pour la prière ou l’étude, des enfants qui jouent dehors en toute sérénité.

D’abord un peu perdu, Joseph entre bientôt à la Yéchiva sépharade Chéérit Yossef du Rav Nessim Tolédano, grand talmudiste issu d’une lignée d’illustres Rabbanim marocains. Située à une trentaine de kilomètres de Bné Brak, dans le cadre paradisiaque du village Beer Yaacov, elle lui offre l’opportunité d’étudier avec une intensité jamais atteinte auparavant. Le Rav Tolédano, ancien élève de la prestigieuse Yéchiva de Poniewezh, est un Maître compréhensif et encourageant : grâce à son aide, le jeune rabbin français fait des progrès remarquables et s’intègre progressivement dans le système israélien. A sa grande joie, son ami Jean Lévy ne tarde pas à le rejoindre, et ensemble, ils poursuivent leur étude talmudique en binôme.

Ce séjour en Israël est aussi l’occasion pour Jo de faire ses premiers pas dans l’étude de la Kabbale, guidé par un homme remarquable rencontré à Bné Brak. « J’ai été aussitôt séduit par sa simplicité et sa profondeur. Je lui ai demandé si je pouvais étudier avec lui et il a accepté. Il étudiait notamment le jour du Chabbat. Mais à l’aube, pour achever son étude avant la prière du matin ! (…) Le premier office, celui auquel il assistait, avait lieu à 5 heures du matin. Il étudiait donc la Kabbale dès 3 heures du matin, et c’est ainsi que je me levais à 2 heure et demie, en ce jour de repos, après une semaine harassante, pour apprendre auprès de cet homme exceptionnel. Je marchais dans les rues de Bné Brak désertes. C’était comme un rêve et immanquablement, je pensais au roi David qui se levait pour prier avant l’aube et écrivait dans les Psaumes : « Je vais réveiller l’aurore. »  A l’époque, Bné Brak était vraiment un endroit unique. (…) Une ville tournée vers l’étude, l’engagement, le progrès social et moral permanent. (…) Je m’y imprégnais de la mémoire de mon peuple, de sa sagesse, cette sagesse qui lui a permis de survivre en exil. A Bné-Brak, le seul travail à accomplir était un travail sur soi : s’améliorer, se perfectionner, mieux comprendre, mieux pratiquer, vibrer un peu plus tous les jours en symbiose avec le Créateur. En un mot, se construire soi-même. » (Chemin faisant  – p.80-89)

Il considère, en effet, Bné Brak comme une ville merveilleuse, mais, fidèle à son principe d’ouverture et de partage, il déplore le fossé qui sépare ses habitants de ceux de Tel Aviv, pourtant si proches géographiquement. Il pense que ce cloisonnement, ce judaïsme qu’il juge trop « replié sur lui-même », prive un grand nombre de Juifs d’un accès à la dimension spirituelle et le regrette.

« Je pensais à la France où une tâche exaltante m’attendait. Bné Brak me parlait d’éternité. Mais l’éternité commence là, tout de suite, dans la société. Il fallait aller vers elle ».

Rabbin à Strasbourg (1970)

A son retour en France, Jo s’installe donc à Strasbourg avec sa famille pour prendre sa fonction de rabbin. Là encore, les conditions matérielles sont difficiles, mais ce qu’il a vécu en Israël l’a inspiré au plus haut point, et il se sent les forces de changer le monde ! Il est animé d’une foi immense, non seulement envers D. mais aussi envers les hommes… Il croit en leur capacité à chercher le bien, à écouter, à évoluer. Il va donc tout faire pour aller vers les autres et pour leur transmettre les valeurs de la Torah. En tant qu’Aumônier de la Jeunesse et adjoint du Grand-Rabbin du Bas-Rhin, Max Warchawski (qui l’accueille comme un fils et deviendra, par la suite, le beau-père de son frère), il se forme au métier de rabbin sur le terrain. Il y apprend tout le côté pratique (mariages, enterrements, Bar-Mitsvot, visites aux malades, enseignement au Talmud Torah…), mais aussi relationnel. Assurément, la tâche de rabbin n’est pas une sinécure ! Selon ses propres dires, on attend d’un rabbin qu’il soit « un assistant social, un conseiller conjugal, qu’il raccommode les couples, détourne les jeunes de la drogue, console les endeuillés, prépare les futurs mariés à leurs responsabilités, rende visite aux malades, conseille les familles en difficulté, organise les activités et les rassemblements de la communauté… ». Il faut qu’il soit également pédagogue et spécialiste en Torah et en Halakha. Bref qu’il soit une sorte de superman !

Mais Jo se plaît dans ce rôle et il l’assure à merveille. Il est vrai que le terrain est idéal : la ville possède déjà toutes les institutions communautaires nécessaires. Au sein du bâtiment où il travaille, il y a trois lieux de prières différents, des salles de classe, un club, un gymnase, des bureaux, un restaurant, et une salle de réception ! Le rêve. Il peut se consacrer à mille pour cent à sa tâche d’éducateur. Sous son influence, la jeunesse strasbourgeoise dont il a la charge connaitra un élan extraordinaire. Il organise des camps (réminiscences de l’époque scout obligent), toutes sortes d’activités, un second club et même un foyer-bar avec des soirées de rassemblement – mais jamais de soirée dansante, car il tient avant tout à rester un rabbin cohérent : « Pour ramener les jeunes au judaïsme, il faut faire beaucoup, mais pas n’importe quoi ! » Et Jo n’est jamais à court d’idées originales : il déborde de projets, dont le succès est chaque fois étonnant.

Son initiative strasbourgeoise la plus fabuleuse restera le « Yom Halimoud », une grande manifestation en faveur de l’étude, organisée à la foire de Strasbourg. Il s’agit du plus grand rassemblement de la communauté juive en Alsace. Au programme, conférences et débats sur la Torah et le Judaïsme, manèges et poneys pour les enfants, expositions, tombolas… Tout cela a pu être réalisé – malgré de pauvres moyens financiers – grâce à l’engagement et le dynamisme de merveilleux bénévoles extrêmement motivés.

Puis, vers la fin de son séjour, il organise les premiers séminaires de famille… précurseurs des fameux séjours de vacances familiaux, en montagne ou ailleurs, que l’on connait bien aujourd’hui : Torah et détente, dans un cadre ressourçant.

 

Mais le temps passé à Strasbourg n’est pas uniquement celui du bonheur. Il est aussi marqué, en 1971, par une terrible douleur, celle de la perte d’un enfant né avec une malformation cardiaque, deux mois seulement après sa naissance. Cette épreuve est certes un traumatisme pour Jo et Danielle, mais elle est aussi, selon leur conception, une expérience qui leur permettra de mieux comprendre la douleur d’autrui et d’être plus proches de ceux qui vivent ou vivront le même drame. C’est aussi un combat dont ils sortent « convaincus que la vie a un sens quelle que soit sa durée, qu’un être humain vient sur terre pour une raison qui nous échappe, mais que rien n’est inutile » (Chemin faisant – p.104) Baroukh Hachem, deux autres enfants naîtront en parfaite santé lors de leur séjour en Alsace : ’Hanel (contraction de ’Hanna-Ra’hel) et Eliahou.

Strasbourg, c’est aussi la découverte d’un antisémitisme violent, animé par un instinct primitif et dangereux. En 1972, Jo assiste avec ses jeunes à un match de football qui oppose les équipes de Strasbourg et de Nice. Tandis que les Niçois mènent par 4 à 0, l’avant-centre de l’équipe Strasbourgeois se fait insulter par ses coéquipiers parce qu’il n’arrive pas à marquer un penalty… Le problème est que la haine dont il fait soudain l’objet est dirigée contre ses origines : Spiegel et juif, et israélien de surcroit ! Des cris d’une violence inouïe déchirent le stade, une foule de deux ou trois cents personnes déchainées : « Spiegel, retourne en Israël ! Vendu ! Juifs au four ! Retourne chez toi ! Mort aux Juifs !» Jo, en reste tétanisé. La peur le submerge. En d’autres temps, se dit-il, cette foule n’aurait pas hésité à lyncher le pauvre joueur. Cette même foule aurait massacré, brûlé, pillé, lors des pogroms des pays de l’Est, et certainement brûlé en autodafé au Moyen-Age. Il n’ose imaginer le rôle qu’ils ont joué durant l’Holocauste… Reprenant ses esprits, il enjoint les jeunes à ne surtout pas répondre et à quitter le stade. Il n’oubliera jamais cet épisode, même si, par la suite, il apprendra à relativiser et à se focaliser sur la tolérance et l’intégration, plus réellement caractéristiques de l’esprit de la ville.

A Strasbourg, comme plus tard à Marseille, il s’exprime contre les clivages et prône le rapprochement et l’unité entre les communautés sépharades et achkénazes. Il déplore, comme à Bné Brak, la séparation entre les orthodoxes (en plein développement) et la communauté officielle, appelée aussi « grande communauté » dans laquelle il est rabbin. Mais il ne lui appartient pas de donner des directives pour faire changer les choses : il n’est qu’adjoint et se doit de respecter les choix de son supérieur et mentor. Mais cette coupure le désole et ses aspirations de décloisonnement, d’unification, de dialogue, de partage, et d’échange ne faiblissent pas.

Retour au soleil – (Le Mousquetaires à la conquête de Marseille)

Déjà en 1973, Jo a été contacté par le vice-président du Consistoire de Marseille dont il a refusé l’offre, la jugeant prématurée. Il se trouvait alors trop jeune et désirait poursuivre le travail entamé à Strasbourg. Mais lorsqu’en 1975, le Grand Rabbin Kaplan le convoque à Paris en présence du président du Consistoire central, Alain de Rothschild, pour lui enjoindre de prendre la direction de la communauté marseillaise – réputée très difficile et dont personne ne veut –, il décide de reconsidérer la proposition et d’en débattre avec son épouse.

Il consulte le Rav Moché Soloveitchik, qui lui suggère d’accepter en affirmant qu’on ne peut pas laisser une communauté sans guide, puis son père, qui est également favorable à cette optique. Danielle, comme toujours, le soutient à fond même s’il n’est pas évident pour elle de devoir encore changer de vie. Alors, malgré les protestations et les divers témoignages de ferveur de ceux qui, nombreux, le supplient de rester, Jo accepte ce nouveau poste.

Il ne quitte pas Strasbourg sans émotion ni quelques regrets. Surtout après la merveilleuse fête de départ organisée par la communauté à son intention, et chaleureusement intitulée « Bye-bye Jo »… Mais il est heureux d’affronter de nouveaux défis, et de retrouver le soleil et la mer de son adolescence !

Son arrivée est comme un enchantement : la couleur du ciel et l’éclat du soleil sur la roche blanche lui rappellent Jérusalem. Mais si le cadre est enchanteur, la réalité du terrain l’est un peu moins… Mais Jo s’est préparé. On l’avait prévenu que cette communauté était particulièrement difficile, car absolument pas structurée. Qu’à cela ne tienne ! Il s’est composé une équipe de choc : tout d’abord, le Dayan Rabbi Chimon Bitton de Gateshead, maître incontesté reconnu par toutes les tendances et doté d’un grand sens de l’ouverture, puis le rabbin Charly Bismuth, son cousin et ami fidèle, et enfin le rabbin Henri Hassoun, ami d’enfance depuis les E.I., toujours à ses côtés. A eux quatre, ils forment un groupe soudé de mousquetaires  idéalistes, motivés, dévoués. Et ils partent à la conquête de Marseille, avec un nouvel adage : « Tous pour Un (Hachem), et chacun pour les Autres ! »

Son prédécesseur, le Grand Rabbin Israël Salzer, est un homme exceptionnel. « Il avait entrepris de traduire le Talmud en français. Mais il était aussi en décalage avec sa communauté, trop jeune, trop grande, trop remuante. (…) Et au moment de l’arrivée des Pieds-noirs, il s’était retrouvé submergé, puis dépassé, par toute une nouvelle population si différente des Juifs de la région. » (Chemin faisant – p.114)  Jo fait preuve d’une grande prévenance à son égard et s’arrange pour que la transition se fasse en douceur, avec beaucoup de respect.

Sur place, il choisit ensuite un ministre officiant ayant suivi une formation orthodoxe en Yéchiva, tout comme le Dayan Bitton. C’est un choix délibéré : la concrétisation du rapprochement qu’il a toujours souhaité entre l’orthodoxie et le judaïsme consistorial. L’équipe est aussitôt acceptée par les membres de la communauté, pourtant clairement hétéroclites. Grâce à sa grande diplomatie, Jo trouve grâce aux yeux de tous, même auprès des libéraux. La jeunesse s’enthousiasme pour ce souffle nouveau qu’il apporte.

Concrètement, il y a tout à bâtir. Cela commence par la création d’un journal communautaire, intitulé Haboné – le Constructeur, pour rassembler les lecteurs et présenter les projets. Puis une Cacheroute (abattage, restaurants, traiteurs) entièrement restructurée, des synagogues, des écoles et des centres d’études, avec le lancement de cours réguliers, un Beth-Din (présidé par le Rav Nessim Rebibo, futur Av Beth Din de Paris, avec qui il nourrira des liens d’amitié très étroits), des Mikvaot. De vingt à son arrivée, le nombre de fidèles présents à l’office de Chabbat passe à quatre cents à son départ. Le Consistoire de Marseille apporte son soutien permanent à l’équipe de Jo et l’aide énormément, ce qui, sans aucun doute, favorise sa réussite.

Fidèle à sa conception du rabbinat, Jo s’efforce d’être un rabbin « de terrain », proche des gens. Il sillonne la région, passe de maison en maison, participant aux mariages, aux naissances, aux Bar-Mitsvot, aux deuils… Il donne des conférences, prodigue des conseils. Il est le maître, l’ami, le confident de chacun.

Mais « ouverture », « tolérance » ne veulent pas forcément dire « concessions ». Jo a des principes – ceux de la Torah –, et là-dessus, il ne tergiverse pas ! Avant son départ pour Marseille, le Rav Chaoul Naouri, inquiet pour son protégé, lui avait demandé : « Dis-moi, tu as bien posé tes conditions, au moins… ? » Ce à quoi Jo avait répondu : « Mes conditions, tout le monde le sait : c’est le Choul’han Aroukh !! » Donc, le micro et l’orgue ne font désormais plus partie de l’office du Chabbat, et les femmes retournent dans la Ezrat Nachim qui leur est réservée depuis toujours d’après la tradition. Dans la « hiérarchie » de Jo, les femmes sont naturellement placées « au-dessus des hommes » : c’est du moins ce qu’il laisse entendre dans une note pleine d’humour placardée sur les murs de la grande synagogue, les invitant à aller dorénavant s’installer en haut…

Comme l’explique son fils Rav Yakov, lors des Chiva, son objectif a toujours été le Chalom, la paix : « Dans ses responsabilités communautaires et son rôle en tant que guide, il se devait de faire des déclarations et de statuer les choses, d’être catégorique dans ses opinions. Et, malgré cela, il a toujours fait attention à ne jamais écarter quelqu’un, à ne jamais entrer en conflit avec les personnes. Lorsque quelqu’un s’opposait à ses convictions, il n’en faisait jamais une affaire personnelle, ne tenait jamais rancune ». Par contre, s’il apprenait qu’une personne avait quelque grief contre lui, il n’hésitait pas à se déplacer pour aller lui demander pardon ! « Il ne pouvait pas envisager que l’on se rapproche d’Hachem, sans se rapprocher des hommes ». Dans la même optique, tous ses proches témoignent qu’ils ne l’on jamais entendu dire le moindre Lachone Hara ! Il lui était tout simplement inconcevable de dire du mal de quelqu’un. Cela n’était pas envisageable… et ses enfants savaient d’ailleurs qu’il ne valait mieux pas se risquer à médire en sa présence.

 

Sa personnalité et son charisme sont également appréciés par de nombreuses personnalités non-juives et jusque dans la sphère politique. Le Maire de la ville, Gaston Defferre, entretient avec lui des liens d’amitié authentiques, se rendant toujours disponible pour lui et toujours prêt à lui rendre service. Lui qui n’a pas eu d’enfant dira même un jour : « Il est le fils que j’aurais aimé avoir ». Leur relation est faite d’estime et d’affection réciproque. Monsieur Defferre, de confession protestante, ancien responsable au sein de la Résistance, est un homme profondément anti-raciste, entier et fidèle. Il aime les Juifs et les défend. En outre, il veille à ce que la paix et le respect règnent entre les différentes communautés religieuses de sa ville.

Lorsqu’en 1981 le Front National organise un meeting à Marseille, M. Defferre tente par tous les moyens de le faire annuler… en vain. Il écrit alors un article virulent, où il taxe le FN de « parti raciste », lequel en retour, porte plainte contre le Maire. Ce dernier sollicite Jo en tant que témoin de moralité, pour le défendre lors du procès. Jo, qui n’a jamais voulu s’engager politiquement, répond toutefois à l’appel, par reconnaissance et par amitié. Il y parle à cœur ouvert, avec verve et conviction. A ses côtes, quatre autres témoins et amis de M. Defferre étaient présents : parmi eux, M. François Mitterrand, alors Premier secrétaire du PS, qu’il rencontre pour la première fois. A la fin de leur parution, M. Defferre sera acquitté.

Peu de temps après, c’est encore par l’intermédiaire de Gaston Defferre que Jo retrouvera M. Mitterrand, Président de la République, avec qui il tissera également des liens très étroits.

 

A Marseille, qu’il s’agisse des hommes politiques, du mufti, du pasteur ou de l’archevêque, tous entretiennent des relations cordiales avec la communauté juive. La seule hostilité exprimée provient de groupuscules d’extrême droite qui, confrontés à des réactions courageuses et véhémentes, ne parviennent pourtant pas à instiller la peur. Les attaques antisémites restent rares et isolées. Il arrive cependant que certains agents administratifs fassent preuve d’une remarquable mauvaise foi…

Ainsi, en 1983, les examens de la faculté de Médecine de la ville sont fixés un jour de Chavouot. N’ayant pas réussi à obtenir gain de cause, les étudiants juifs se tournent vers leur Grand-Rabbin pour qu’il intervienne auprès du doyen. Jo est reçu très aimablement devant tout le conseil de la faculté, mais le doyen lui explique qu’il ne peut rien faire, qu’il s’agit uniquement d’un problème technique : il ne dispose tout simplement pas de salle libre pour une autre date. Loin de se considérer vaincu, Jo sait alors à qui s’adresser… A cette époque, Monsieur Defferre est devenu Ministre de l’Intérieur, sous la présidence de François Mitterrand, et le même jour, un attentat a eu lieu à Orly. Jo n’hésite pourtant pas à l’appeler au ministère. On lui répond bien sûr que Monsieur le Ministre est occupé, en pleine cellule de crise. Mais lorsque qu’il mentionne son nom, c’est le Ministre lui-même qui lui répond au téléphone, quelques secondes plus tard. Jo explique toute l’histoire et M. Defferre écoute patiemment. Puis il déclare : « Appelez ma secrétaire de ma part et dites-lui de vous donner le Palais des expositions, l’opéra de Marseille, la Mairie, ou mon bureau s’il le faut! Mais il n’est pas question qu’un jeune juif soit sanctionné parce qu’il est juif ! » (Chemin faisant – 140) Jo ne se fait pas prier et rappelle ensuite le doyen – qui croit d’abord à une plaisanterie – en lui demandant si le Parc des expositions lui convient… Il lui explique ensuite que le Maire a mis toutes les salles de la ville à sa disposition ! Finalement, les examens auront bien lieu dans une salle de la faculté, mais à une date ultérieure…

Les relations entre Jo et M. Defferre s’étendent bien au-delà des affaires de la communauté. Il est un ami de la famille : il est présent lors d’une circoncision, et également à la mort du père de Jo, décédé des suites d’un accident cérébral.

Lui-même victime d’une hémorragie, suite à une chute à son domicile, M. Defferre meurt subitement en 1986. A l’occasion de ses obsèques, une cérémonie œcuménique est organisée à la cathédrale, avec les représentants des principaux cultes marseillais (protestant, réformé, grec, arménien, juif, musulman…), et le Grand Rabbin Sitruk est invité personnellement, par la veuve, à prendre la parole pour rendre hommage à celui qui fut son ami. Jo consulte alors ses maîtres, Rav Soloveitchik et Rav Schlesinger, qui l’autorisent à titre exceptionnel et sous certaines conditions (notamment le retrait des statues et crucifix exposés dans les lieux – ce qui sera fait, à l’initiative des organisateurs respectueux) à entrer dans l’église pour participer à cette cérémonie interconfessionnelle.

Début 1988, il est sollicité pour la seconde fois par le Consistoire Central. La première fois, en 1980, il avait refusé de se présenter pour l’élection du Grand Rabbin de Paris, estimant que sa tâche à Marseille était loin d’être achevée. Sept ans plus tard, c’est pour le poste de Grand Rabbin de France qu’on le réclame. Et cela ne fait pas du tout partie de ses projets…

Jo se trouve très bien à Marseille, il hésite à changer de mission. Quatre autres enfants sont nés, ici à Marseille : Sarah, Efraïm, et les jumeaux Its’hak et Esther, âgés de seulement six ans. En outre, une nouvelle naissance (ce sera la petite Myriam) est prévue pour bientôt. Ce n’est pas simple de tout chambouler pour une si grande famille, avec des enfants aux âges-clés de leur développement… Déménager de nouveau, et dans la capitale qui plus est, signifiera changer complètement leurs repères, les séparer de leurs camarades, et les transférer dans un cadre largement moins ensoleillé… Mais le couple sait que rien n’est dû au hasard et que la Providence Divine attend peut-être quelque chose d’eux. Aussi Jo va-t-il consulter des Sages de la Torah pour connaître la voie à suivre : de nouveau, le Rav Soloveitchik à Zurich, mais aussi le Rav Chakh, Roch Yéchivat Poniewicz à Bné Brak (sur le conseil du Rav Nessim Tolédano), et le Rav Chaijkin à Aix-les-Bains. Selon leur avis, et avec l’accord de sa fidèle épouse Danielle, il accepte finalement de se porter candidat.

Premier mandat – 1988

Elu Grand Rabbin de France à l’assemblée générale, « Jo » devient désormais « le Rav Joseph Sitruk ». Son nouveau rôle est bien différent. De rabbin de proximité, il devient « l’incarnation du judaïsme aux yeux de tout un pays ». C’est pour lui une sorte de sacrifice, mais il est conscient que la portée de la mission qu’il s’est fixée – celle de transmettre la Torah – s’en trouve décuplée. Sa priorité : développer l’étude, par l’enseignement et l’échange.

En novembre 1989, il lance le premier Yom Hatorah au Parc des Expositions du Bourget, gigantesque rassemblement de plus de trente mille de personnes sur le thème de la Torah – stands, expositions, débats, discussions. Là encore, le succès est au-delà de tout ce qui a été imaginé (seulement dix mille billets d’entrée avaient été imprimés et plus de la moitié du public a dû finalement rentrer gratuitement). Pourtant, les moyens dont l’équipe disposait étaient très modestes et, comme à Strasbourg pour le Yom Halimoud, le Rav avait tout misé sur le bénévolat… Et encore une fois, il a eu raison ! Ce Yom Hatorah n’est que le premier d’une longue liste à venir. Face au succès phénoménal, l’équipe est rapidement dépassée par l’ampleur de la tâche et c’est ensuite avec l’aide financière et logistique du FSJU (Front Social Juif Unifié) que les autres rassemblements ont lieu. Encore aujourd’hui, le Yom Hatorah reste un moment clé de rencontre et de réflexion, dans la joie et la bonne humeur, « une manifestation unitaire s’adressant à tous les Juifs, et aux non-Juifs qui veulent connaître le judaïsme », selon les propres paroles du Rav.

L’on peut, peut-être, imaginer la portée d’un tel évènement grâce au témoignage extraordinaire que son petit-fils Yossef, fils du Rav Yakov Sitruk, rapporta lors des Chiva : Un jour, à l’occasion d’un Yom Hatorah, les enfants du Rav ont demandé au Rav Sim’ha Wasserman (fils du célèbre Rav El’hanan Wasserman de Lituanie), qui était alors présent, s’il était préférable de rentrer en Erets Israël pour étudier à la Yéchiva, ou bien s’ils devaient rester pour assister à l’évènement organisé par leur père. Et le Gadol a répondu : « Ne rentrez pas à la Yéchiva, et restez pour le Yom Hatorah. Car vous n’aurez peut-être plus jamais l’occasion d’assister à un Kiddouch Hachem – Sanctification du Nom Divin – aussi grand, dans votre vie… ! » Son but, expliqua encore son petit-fils, était effectivement de « faire grandir le Nom d’Hachem, de faire connaître à tous les Juifs ce que lui-même avait appris. Il voulait que chaque Juif vive l’Amour et la Crainte de D. comme lui-même les vivait ».

Puis, il innove encore en instaurant ses cours magistraux du lundi soir. Avant lui, on n’avait jamais vu un Grand Rabbin de France donner un cours régulier, ouvert à tous ! D’une trentaine de jeunes, au tout début, le nombre de personnes présentes passe progressivement à deux cents. Puis le chiffre s’accroît encore. Pendant des années, une foule toujours plus conséquente vient s’abreuver chaque semaine, dans la Grande Synagogue de la Victoire, aux sources vivifiantes de ses Drachot. Les cours sont enregistrés, puis diffusés à la télévision québécoise et distribués en cassettes ; l’impact est immense. Ses messages se diffusent à grande échelle, mieux encore que ce qu’il n’avait jamais espéré !

 

Le 10 mai 1990, la France est confrontée à l’horreur d’un fait divers qui devient instantanément une « affaire d’Etat » aux répercussions sociales et politiques importantes. Le cimetière juif de Carpentras a été profané. Dans cette ville du Vaucluse, proche de Marseille, vit la communauté la plus ancienne du pays. Au petit matin, deux femmes en visite découvrent le carré juif saccagé, des stèles fracassées, 33 tombes endommagées et, comble de l’abomination, un cercueil ouvert et le corps exhumé.

Le soir même, le Président Mitterrand rend visite au Grand Rabbin Sitruk en ami, en signe de solidarité. Le lendemain, l’affaire fait la Une de tous les quotidiens qui n’hésitent pas à parler de « choc antisémite » et d’ « acte d’antisémitisme sans précédent ». Pour le Rav, cet acte est tout un symbole. « Bouleversant par ce qu’il implique. La profanation de la tombe de Félix Germon, c’est la profanation de l’humain tout entier. (…) Cela renvoie immédiatement à ces six millions de cadavres juifs de la Shoah que l’on a essayé de faire disparaître dans les fours crématoires. La profanation de la mort (…) est l’expression d’un échec total de l’humanité » (Chemin faisant – p. 306)

Le surlendemain, le ministre Pierre Joxe propose au Rav de se rendre à Carpentras, dans l’avion ministériel, afin de participer à la cérémonie qui aura lieu au cimetière. Pendant le vol, le Rav en profite pour parler avec M. Jospin, Ministre de l’Education, qui a pris la décision d’organiser des journées d’information sur la Shoah dans les écoles. Au cimetière, une foule de plus de dix mille personnes est assemblée, en hommage aux morts profanés, tandis que la ville se met en deuil. Rav Sitruk prononce un discours vibrant où il appelle la France démocratique à ne plus « laisser faire ».

Le quatrième jour enfin, à l’appel du CRIF, a lieu une manifestation historique contre le racisme et l’antisémitisme. Des dizaines de milliers de personnes, dont – du jamais vu depuis la Libération – le Président de la République en personne, défilent dans les rues de Paris pour exprimer leur indignation et leur refus face à de tels actes. La marche s’achève à la Synagogue de la Victoire, où l’on prie en présence des officiels et où le Grand Rabbin lance un message d’espoir pour l’avenir.

 

Le Dr David Temstet, qui l’a bien connu, témoigne que le Rav Sitruk avait un emploi du temps particulièrement surchargé : « Il était très investi dans sa position de Grand Rabbin de France, et je voyais ses planning… Vingt heures sur vingt-quatre étaient consacrées à faire le tour des communautés, à résoudre les problèmes, à essayer de mettre en place un Beth Din pour simplifier les procédures, à essayer de faire passer la Torah avec amour et conviction ». Comme toujours, et peut-être plus encore que jamais, c’est un homme d’action, un homme de terrain.

En 1991, en pleine Guerre du Golfe, alors que les missiles Scud pleuvent sur Israël, et que les Juifs du monde entier frémissent de peur, il organise un voyage de soutien en Erets auquel beaucoup participent. En guise d’accueil, on leur offrira des masques à gaz dès leur arrivée à l’aéroport Ben Gourion…

La même année, il se rend pour la première fois en visite à Auschwitz, dans le cadre d’un voyage organisé par l’association Keren-Or, aux côtés d’une quinzaine de soldats israéliens et d’anciens déportés. Parmi eux, le Rabbin Lichté de la synagogue de la place des Vosges, qui donnera à cette visite une dimension poignante par son témoignage personnel : « Alors que nous marchions dans les allées, écrira le Rav, il me montrait là où il dormait, là où il travaillait, là où il avait été tabassé, là où se faisait l’appel. Et, cette visite, je pourrai la raconter à mes enfants. L’an prochain, je les emmène tous à Auschwitz, parce que je pense que tout juif doit y aller avec sa famille (…). Ainsi, si l’on a l’occasion de se rendre sur ces lieux où même le silence est parlant, c’est particulièrement formateur. »

En 1992, il n’hésite pas à se déplacer jusqu’en Tunisie pour rencontrer le président Ben Ali. Sa mission : faire libérer un jeune juif français emprisonné dans le pays. Il s’agit en effet d’une grande Mitsva de la Torah : le Pidyone Chévouyim. Dans ce but, il demande une entrevue privée avec le dirigeant tunisien. Après avoir décliné l’invitation à diner au Palais présidentiel pour des raisons de Cacheroute, il participe à une réunion officielle largement médiatisée, puis réitère sa demande d’entretien privé – qui lui sera accordé durant quinze minutes. A sa sortie de l’entrevue, Ben Ali proclame toute son admiration pour le Grand Rabbin de France et déclare : « Il m’est à présent impossible de ne pas gracier les prisonniers ! ». Il s’avère, en effet, que Rav Sitruk n’a pas plaidé pour une seule libération comme prévue, mais bien deux… Alors qu’il se trouve déjà à l’entrée de l’aéroport avec son équipe, pour le retour en France, le Rav s’arrête soudain et fait volte-face pour ressortir du terminal. Qu’a-t-il oublié ? Ses assistants médusés le voient marcher d’un pas assuré jusqu’à la rangée de motards qui les ont escortés pendant tous leurs déplacements… Que fait-il ? Il prend le temps d’aller remercier personnellement chacun d’entre eux, en leur serrant la main et en s’excusant pour les quelques retards pris dans le programme prévu. Puis, serein, il peut enfin rejoindre les guichets d’enregistrements – après, bien sûr, avoir fait une halte pour la prière de Min’ha.

Une autre fois, c’est en Egypte qu’il se rend, pour faire changer le tracé d’une autoroute devant initialement passer par un cimetière juif. Avec l’aide d’Hachem, le tracé est finalement dévié et la profanation, évitée.

Comme il l’avait fait à l’époque avec M. Gaston Defferre pour changer la date des examens de la faculté, il n’hésite pas à présent à demander à être reçu en urgence par le Président Mitterrand pour défendre la légitimité de l’abattage rituel, menacé d’interdiction par le Conseil européen. Face à un chef d’Etat plutôt sceptique, il explique patiemment pourquoi les accusations ne sont pas fondées : en effet, les lois très strictes de l’abattage empêchent l’animal de souffrir inutilement, d’autant plus que cette souffrance est condamnée par la Torah elle-même. Suite à quoi, le Président, qui a écouté avec intérêt, lui dit de ne pas s’inquiéter en l’assurant de la fidélité de la France… En fin de compte, l’abattage rituel ne sera pas interdit.

C’est d’ailleurs des mains-mêmes de François Mitterrand, qu’il est décoré en tant que Chevalier de la Légion d’Honneur en décembre 1992. Cette décoration, instituée par Napoléon Bonaparte, est reconnue comme l’une des plus hautes distinctions nationales, et récompense les mérites éminents de citoyens œuvrant au bénéfice de la société et contribuant au rayonnement de la France. C’est donc, à juste titre, pour la noblesse de ses actions que le Grand Rabbin Joseph Sitruk reçoit cette prestigieuse marque de reconnaissance de la part du gouvernement.

 

 

Deuxième mandat – 1994

 

Comme il l’a toujours démontré, Rav Sitruk ne fait pas de concession en matière de Halakha. Même au risque de se voir durement critiqué, ou même de mettre en danger sa propre carrière… Nous sommes en mars 1994, à quelques mois de la fin de son mandat et des élections pour le nouveau Grand Rabbin de France. La bataille n’est pas encore vraiment engagée, mais le Rav sait que tous les yeux sont déjà tournés vers lui, puisqu’il a annoncé son intention de briguer un deuxième mandat. Pourtant, lorsqu’il s’agit de défendre la loi divine, il ne prend pas en compte ce genre de détails.

Il se trouve que le second tour des élections cantonales vient justement d’être fixé au premier jour de Pessa’h, jour saint où il est interdit – comme à Chabbat – d’effectuer certains actes, tels que prendre la voiture, écrire, etc. Pour le Rav, la question ne se pose pas : il est de son devoir de chef de communauté d’avertir ses ouailles. Il déclare donc, dans l’hebdomadaire Tribune Juive que « les Juifs pratiquants, faute d’un arrangement avec les pouvoirs publics, ne doivent pas aller voter ».

Ses propos font scandale : certains y voient le devoir républicain « bafoué », au profit d’un « obscurantisme religieux ». Rav Sitruk, qui désire effacer tout malentendu, s’explique quelques jours plus tard dans le journal L’Express :

« Mettons les choses au point. Je n’appelle pas à l’abstention. Je n’ai jamais donné de mot d’ordre politique. J’ai voulu simplement apporter une précision sur un plan exclusivement religieux. Dans le cas en question, j’avais un espoir : je croyais possible de trouver une compatibilité entre les règles républicaines et nos exigences religieuses. Car, pour nous, voter est un devoir civique fondamental. » Il pensait en effet qu’il serait possible de faire usage d’une procuration pour, par exemple, envoyer un non-Juif voter à sa place… Mais puisque cela n’est apparemment pas prévu par la loi française, il persiste : « Je confirme, hélas! qu’un juif pratiquant ne pourra que s’abstenir, ce jour-là. (…) S’agissant d’un jour sacré, rappelons qu’on ne peut se livrer à une activité profane. (…) Le Grand Rabbin de France est une sorte de vox populi des Juifs croyants. Il n’a pas de fonction politique. Mais – les pouvoirs publics le savent parfaitement – il est l’expression des valeurs morales, éthiques et spirituelles de la communauté ». Et lorsqu’on lui reproche de mettre en question la laïcité, il répond : « Je ne suis en rien un anti-laïc. Encore faut-il s’accorder sur le contenu de la laïcité. C’est également la possibilité pour chaque religion de trouver sa place. La laïcité est-elle seulement la neutralité absolue? Non. Les chrétiens auraient-ils trouvé normal que les élections aient lieu le lundi de Pâques? Comme eux, j’aurais été choqué. La laïcité est garante de nos libertés, mais, dans le cadre de la Constitution, la liberté religieuse doit aussi être respectée ». Des intellectuels parlent alors d’intégrisme. Face à lui, Gilles Bernheim, jeune rabbin intellectuel se déclarant philosophe, se pose comme candidat, largement soutenu par les laïcs.

Au mois de juin, en pleine campagne électorale pour l’élection du futur Grand Rabbin de France, la communauté juive est – pour reprendre encore les propos du journal L’Express – en « ébullition ». Déjà « divisée par l’accord de paix israélo-palestinien et en quête d’identité », elle doit faire face à ce que certains nomment « une querelle des anciens et des modernes ». La communauté juive de France est alors « traversée de tensions, divisée, et menacée d’une scission en bonne et due forme: “ultras”  d’un côté, “républicains” de l’autre, et les rabbins transformés en arbitres ». « On reproche au Rav Sitruk son “intégrisme” ou son “communautarisme”, son admiration sans borne pour le monde lituanien de Bné-Brak et ses références systématiques à des maîtres d’Israël, sans prendre en compte la spécificité de la vie juive en France ».

Mais toutes ces accusations n’entament en rien sa notoriété, et c’est sans compter sur le cœur des Juifs de France qui, majoritairement, votent pour leur cher Grand rabbin Joseph Sitruk, finalement réélu pour un second mandat. Sa mission en tant que responsable et représentant de la Communauté se poursuit donc…

Il apparait comme grand témoin au procès de Paul Touvier – ancien chef du service de renseignements de la Milice durant l’Occupation – qui, après cinq semaines de débats, est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, pour complicité de crimes contre l’humanité. Après le verdict, Rav Sitruk s’est déclaré « fier pour la France » et a exprimé la « satisfaction » de la communauté juive, sans aucun « sentiment de revanche ». On le retrouvera plus tard, toujours comme témoin, au procès de Maurice Papon, ancien secrétaire général de préfecture sous Vichy, qui sera lui aussi condamné pour complicité de crimes contre l’humanité, coupable de l’organisation de la déportation vers les camps de la mort des Juifs de sa région.

Un an plus tard, le 7 mai 95, ce sont les élections présidentielles, et Jacques Chirac est élu Président de la Nation, à la place de François Mitterrand – qui laisse derrière lui de bien tristes révélations quant à son amitié avec l’ancien secrétaire général de la police de Vichy, René Bousquet.

Sans être aussi intimes qu’elles l’étaient avec le président sortant, Rav Sitruk entretient avec le Président Chirac des relations tout à fait cordiales, faites d’estime et d’écoute mutuelle. Dans son livre Chemin Faisant, il le décrit comme un homme « chaleureux, et modeste, d’un abord extrêmement facile ». Là encore, assez souvent, les propos échangés dépassent le cadre stricte des fonctions de chacun. Ainsi, ils peuvent discuter amicalement de sujets divers, tels que le football ou la littérature. Malgré quelques tensions vis-à-vis de la politique de l’Etat d’Israël, Jacques Chirac respecte la communauté juive et défend généralement ses intérêts.

Peu après son élection, celui-ci reconnaitra d’ailleurs solennellement, au cours de la cérémonie du 53ème anniversaire de la Rafle du Vel d’Hiv, la responsabilité de l’Etat français dans la déportation et l’extermination des Juifs durant l’Occupation allemande :

« Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, et par l’État français. La France, patrie des Lumières, patrie des Droits de l’homme, terre d’accueil, terre d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux (…). Suivront d’autres rafles, d’autres arrestations. 74 trains partiront vers Auschwitz. 76 000 déportés juifs de France n’en reviendront pas. Nous conservons à leur égard une dette imprescriptible. »

En outre, c’est bien la première fois, depuis un demi-siècle, qu’un président français ose enfin reconnaitre officiellement les exactions du régime de Vichy ! François Mitterrand, en effet, avait toujours refusé – comme ses prédécesseurs – de présenter ses excuses, au nom d’une République qu’il n’estimait en aucun cas liée aux évènements de cette période… Pour lui, le « Gouvernement provisoire de Vichy » était le fait de quelques hommes extrémistes et n’avait strictement rien à voir avec la République française et ses valeurs inaltérables !

Animé d’une grande ambition communautaire et toujours dans le but de diffuser les valeurs de la Torah à tout un chacun, le Rav se lance, en 1996, dans la fondation d’un Beth Hamidrach, au sein de son quartier de résidence à Neuilly-sur-Seine. Au départ, le Centre Alef voit le jour à la demande d’un noyau de fidèles élèves désirant avancer dans le Limoud HaTorah. C’est donc d’abord un lieu d’étude, où ils peuvent se pencher sur les Textes avec leur maître bien-aimé et d’autres Rabbanim, en Halakha, Guémara, Paracha, Moussar et Daf Hayomi. Mais rapidement, la création de structures plus spécifiques devient indispensable face au développement de la petite communauté d’origine. Emergent alors, au fil des ans et sous la direction de son gendre le Rav Ariel Gay, une synagogue pour les prières, un Gan, puis une école primaire, un Séminaire pour jeune filles, une Yéchiva pour jeunes gens, des Matinales ou des cours du soir pour les dames, et même un Mikvé ultra-moderne…

Le Rav Sitruk et la Rabbanite y sont très présents et actifs – d’abord par leurs cours, ensuite par leur écoute et leur affection,  marquant de leur empreinte spécifique et de leur amour inextinguible tous ceux qui fréquentent le Centre. Les institutions accueillent chacun et chacune sans distinction, indépendamment de leur niveau de pratique, pour peu qu’ils veuillent avancer. « Tous les Juifs aiment la Torah, affirme Rav Sitruk. Il faut seulement des gens pour leur montrer comme elle est belle ! »

Une branche Alef Loisirs organise des Chabbat pleins, des Malavé Malka, des repas de fête et des voyages communautaires favorisant les échanges et la bonne ambiance. Tout est fait pour répondre aux besoins de chacun des membres de la cellule familiale, afin de favoriser une évolution harmonieuse sans rapports conflictuels. L’honneur est donné au Limoud, à la convivialité et au Chalom. Encore aujourd’hui dirigé avec brio par le Rav Ariel Gay, le Centre Alef est une formidable réussite.

Mais le Rav n’a pas l’habitude de se reposer sur ses acquis et, cherchant encore et toujours à diffuser les valeurs de notre tradition au plus grand nombre, il publie en 1999 son premier livre « Chemin faisant ». Sous forme d’entretiens avec deux journalistes, il y retrace son parcours de vie et nous livre ses réflexions sur le monde et sur la religion. Des thèmes comme l’antisémitisme, la laïcité, la Shoah, le processus de paix en Israël, la féminité et les déviances de notre société occidentale (notamment avec le PACS nouvellement validé) y sont abordés sans compromis.

Et son action ne se limite pas à l’Hexagone… Devant l’augmentation significative du nombre de Juifs français partant s’installer en Erets Israël, et le constat de leurs difficultés à s’intégrer dans une société à la culture totalement étrangère, il lance la même année l’Association Aleph Ledoroth, sous la direction de son fils Yakov, en plein cœur de Jérusalem. Son objectif principal: l’accompagnement spirituel et l’aide à l’intégration des nouveaux immigrants.

Aujourd’hui, presque deux décennies plus tard, l’association a connu un développement extraordinaire et a étendu son action à tout le territoire israélien, avec deux bureaux supplémentaires à Tel-Aviv et Netanya. Des cours pour tous publics sont proposés, aux hommes comme aux femmes, quel que soit leur niveau de pratique et de connaissances, les jeunes filles disposant d’un Séminaire spécifique. Les soldats ne sont pas oubliés : des Rabbanim se déplacent jusque dans les bases de Tsahal pour leur enseigner la Torah ! Alef Ledoroth se consacre également à l’aide sociale grâce au dévouement de nombreux bénévoles, et en partenariat avec les mairies et le Ministère des Affaires Sociales : « distribution de colis alimentaires, de bons d’achat, de bourses (pour l’équipement ménager, les soins médicaux…), collecte de vêtements, soutien aux malades dans les hôpitaux, les centres pour enfants handicapés ou les centres psychiatriques, aides aux personnes âgées et divertissements pour enfants nécessiteux avec des centres aérés, ateliers, et spectacle de magie ». Les Olim peuvent, s’ils le souhaitent, profiter des cours d’Oulpan et d’un soutien scolaire. Et depuis 2012, l’Association est devenue une vraie communauté, avec l’inauguration d’une Sefer Torah et d’une synagogue.

« L’objectif de cette association, explique aujourd’hui le Rav Yakov, est évidemment de poursuivre l’action de mon père : aller vers les Juifs qui n’ont pas eu la chance d’apprendre ce que nous avons pu apprendre, leur faire partager cet amour d’Hachem, en proposant un message vrai, qui leur parle directement, en les rapprochant des principes fondamentaux de la Torah. Nous nous inspirons de la façon dont il a réussi à ramener tant de Juifs, dans cette approche à la fois sentimentale et rigoureuse, entièrement réfléchie ».

Troisième mandat –  2001 – et renaissance

Assurant à la perfection ses rôles de guide pour la communauté juive et de représentant auprès des responsables non-Juifs, le Grand Rabbin Joseph Sitruk est réélu pour un troisième septennat – et son mandat de 21 ans sera le plus long de France depuis plus d’un siècle.

Il n’a jamais été aussi actif, aussi investi, aussi disponible. Mais la Providence Divine intervient de façon dramatique pour changer brusquement le cours de sa vie…

 

5 décembre 2001, Sarcelles. C’est le jour du mariage de la fille de sa fidèle secrétaire, Mme Danan. Rav Sitruk court, depuis presque une semaine, un véritable marathon entre rencontres officielles, diner annuel, déplacements en province et à l’étranger, inaugurations, manifestations, le tout avec un minimum de sommeil et d’alimentation. Mais pour rien au monde, il n’aurait raté cette joie familiale. Pendant la cérémonie, au beau milieu de son discours, il est subitement foudroyé par une secousse électrique qui lui traverse le bras puis la jambe gauche ; il s’écroule, témoin impuissant de l’affolement général. Le SAMU arrive et le transporte en urgence à l’hôpital le plus proche, à Garges. Rav Sitruk perd connaissance durant le trajet en ambulance. Sur place, on diagnostique une hémorragie cérébrale majeure gravissime, et on le transfert en hélicoptère à La Pitié-Salpêtrière, à Paris.

L’équipe médicale spécialisée est extrêmement pessimiste. Le médecin de service veut les préparer au pire et débite à Danielle des mots qu’elle n’oubliera jamais et qui la glacent de terreur : « Il ne passera pas la nuit ». Mais elle se reprend bien vite et se renforce dans la conviction que la vie et la mort ne sont pas entre les mains des médecins, mais dans celles du Maître du monde. Lui Seul peut sauver son mari ! C’est Lui qui l’a mis dans cette situation et c’est Lui qui l’en sortira. Implorons-Le, et Il nous écoutera ! S’il existe réellement 2% de chances pour qu’il survive, comme l’affirment les médecins, alors elle misera sur ces 2%. Refusant de douter, Danielle lance le mot d’ordre : « PRIEZ ! » Aussitôt, une formidable chaîne de solidarité s’organise à travers le monde entier. Des milliers et des milliers de personnes, proches, amis, élèves ou simples Juifs se sentant concernés, se mettent à prier Hakadoch Baroukh Hou, pour qu’Il préserve la vie de leur cher Grand Rabbin de France, leur cher guide, leur cher Jo. Plus tard, il commentera lui-même avec malice : « Ma femme a transformé l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière en hôpital de la piété salle de prières ! » Sur place, une équipe permanente de dix hommes se forme pour veiller sur le Rav 24h/24 (équipe qui se maintiendra tous les jours pendant deux mois et demi, dans le service de réanimation !). Clin d’œil de la Providence, le Rav occupe le lit numéro 18, dont la valeur numérique hébraïque signifie « ‘Haï – vivant » !

Finalement, le Rav passe bel et bien la nuit, Baroukh Hachem. Le lendemain, il est emmené en salle d’opération où l’on extrait le sang accumulé dans la boite crânienne, afin de préserver son cerveau de lésions dues à la compression. L’intervention est réussie, mais il reste un caillot impossible à dégager, et le risque reste majeur.

–– La seule chance, pour qu’il s’en sorte indemne, serait que le caillot aille se loger entre les deux lobes du cerveau…, explique le chirurgien.

— Eh bien, avec l’aide de D., c’est ce qui arrivera, déclare aussitôt Danielle.

Et c’est exactement ce qui se passe.

Les prières et supplications ne faiblissent pas : un élan incroyable s’est emparé des Juifs francophones, à grande échelle, mais aussi de nombreuses personnes de confessions différentes, chrétiennes ou musulmanes. Sur la requête de Danielle, beaucoup de Juifs décident d’accomplir des Mitsvots non respectées jusque-là, pour sa guérison. Et au bout de 26 jours (valeur numérique du Nom D.), le miracle a lieu et le Rav se réveille du coma ! Lui-même se définira comme un « rescapé de la prière ».

Quelques jours seulement après son réveil, c’est la Azkara, la date anniversaire du décès, de son père… et une chose inouïe se produit. Reprenons ici le récit bouleversant que Rav Yakov en a fait, durant la cérémonie de la fin des Chiva :

« Ce jour-là, mon père avait l’habitude de se rendre sur la tombe du défunt, en Israël. Comme il se trouvait dans l’impossibilité de se déplacer cette année-là, nous lui avons organisé un Minyan dans le service de réanimation neurologique de la Pitié Salpêtrière – une première ! Nous avons amené un Sefer Torah, il est monté à la Torah, et il a tenu à lire lui-même la 3ème montée de la Paracha de Michpatim, ce qui était excessivement difficile pour lui. Au bout de trois versets, on lui a dit ” c’est bon, tu as fait les trois Psoukim minimum ! Tu peux t’arrêter maintenant… ” Mais non, il a continué et il a lu jusqu’à la fin de la 3ème partie du Richone, qui termine par les versets ” Vérapo Yérapé ” – Et guéri, il guérira. Après avoir prononcé ces derniers mots, il s’est tourné vers nous et il a dit : ” Vous avez compris pourquoi je devais aller jusqu’au bout ? ” En réalité, nous avons alors compris deux choses : une, qu’il allait guérir, et deux, que la Téfila était ce qu’il y avait de plus important dans sa vie. Et depuis ce moment, jusqu’à ses derniers jours, il n’a pas raté une seule prière en Minyan ».

 

Une très longue période de rééducation commence alors – notamment avec quelques mois de pratique de la méthode du Pr Feuerstein, qu’il tient en grande estime. Pas de lésions irréversibles certes, mais une légère paralysie motrice de tout le côté gauche. Il faut réapprendre les gestes du quotidien, à marcher et à articuler pour parler… Mais Jo reste Jo, la force et la volonté ne lui ont jamais fait défaut.

Physiquement, il se bat. Moralement, il s’introspecte, se remet en question et cherche à améliorer son existence. C’est pour lui comme une deuxième naissance, un face-à-face avec Hachem loin de la société et de la course du monde. Il goûte au bonheur simple de pouvoir enfin « prendre le temps », pour s’adonner à sa famille et à l’étude de la Torah, tous deux si chers à son cœur. Il se sent investi d’une nouvelle mission personnelle : « Nos maîtres disent que Hachem ne retire jamais un homme de ce monde tant qu’il a quelque chose à faire. Je m’arrange donc pour que chaque instant, précieux, soit utilisé au maximum pour l’étude et l’accomplissement des Mitsvot, afin de remplir ma vie de Torah. » (Rien ne vaut la vie – p.41)

D’ailleurs, comme pour une naissance, on lui donne un nouveau nom en lui ajoutant (selon les prescriptions du grand Kabbaliste Rav Kadouri) celui de « ’Haïm – la vie », dans le but de lui apporter la guérison en changeant son Mazal, comme l’enseigne la tradition juive. Désormais, il s’appelle Yossef ’Haïm, littéralement « qui rajoute la vie ».

Durant sa période de rééducation, de nombreuses personnes se déplacent régulièrement jusqu’à l’hôpital pour participer aux Minyanim organisés. Ces prières sont très longues, car il faut beaucoup de temps au Rav pour réciter sa Amida. Lorsque ses enfants lui font comprendre que cela devient problématique vis-à-vis des gens qui doivent se rendre à leur travail, le Rav répond : « Vous pouvez me demander tout ce que vous voulez, mais pas d’aller plus vite dans ma Téfila ! C’est le moment le plus important de ma vie ! »

A ce propos, le Rav Yakov se souvient encore : « Lorsque j’étais enfant, j’ai gagné mon premier Sidour à une kermesse organisée par l’école. Mon père m’a dit cette phrase inoubliable : “Ce sera ton meilleur ami “. Sur le moment, évidemment, je n’ai pas saisi la profondeur de ses paroles. Mais plus la vie avance, et plus je me rends compte à quel point cela était vrai et surtout à quel point c’était sa façon à lui de vivre les choses. »

Durant les après-midi d’hiver, alors que le soleil se couche très tôt, les participants aux prières organisées se retrouvent parfois à six ou sept, quelques minutes seulement avant la Chkia, et doivent se rendre à l’évidence : « Bon, aujourd’hui, il n’y aura pas Minyan… » Mais aussitôt, le Rav rétorque : « Ne vous inquiétez pas, ils vont arriver ! Je n’ai jamais abandonné la prière en Minyan, elle ne m’abandonnera jamais, elle non plus ». Et effectivement, tous les jours, les fidèles finissent par venir à temps !

 

Depuis son accident cérébral, il devient naturellement moins actif au niveau communautaire. Mais son œuvre assurément se poursuit…

En septembre 2002 à Baït Vagan, en présence d’éminents Rabbanim, le Rav Ariel Bijaoui inaugure les Institutions Toldot Nissim à la mémoire de son père le Rav Nissim Bijaoui, sous l’impulsion et avec les encouragements de son beau-père, le Rav Yossef ’Haim Sitruk. Dans le même esprit que le Rav Yakov avec Alef Ledoroth,  Rav Bijaoui et son épouse ’Hanel, se fixent pour vocation de répondre aux besoins du public français en proposant des structures communautaires adaptées, fidèles aux valeurs traditionnelles. D’abord une synagogue où ont lieu tous les offices de la semaine, de Chabbat et des fêtes, puis un Beth Hamidrach qui ouvre ses portes tous les jours à qui le veut, pour une étude régulière ou ponctuelle. Ensuite une crèche, puis un gan, une école primaire et enfin secondaire pour filles (Séminaire Bnot ’Hayil), préparant au baccalauréat israélien mais intégrant également l’enseignement du francais. Et bien sûr, un Talmud Torah pour les garçons. Diverses activités sportives, comme la gymnastique ou la natation, sont également proposées aux élèves. Les nombreuses activités communautaires, occasions de rencontres et de détente entre familles, entrainent une dynamique, une entraide et une chaleur infiniment précieuses pour les français nouvellement arrivés dans le pays, facilitant grandement leur intégration. Comme l’a toujours prôné le Rav Sitruk, tout y est mis en place pour que la Alya des français ne soit pas seulement physique, mais également spirituelle. « C’est une structure communautaire qui s’adapte le mieux possible à une Alya francophone grandissante, en proposant une vraie communauté axée sur les valeurs de la famille et de la Torah. » (Rav Bijaoui)

 

Quelques années plus tard, en 2006, Rav Sitruk publie son second livre intitulé « Rien ne vaut la vie », dont le titre parle de lui-même. C’est une ode à la vie, un élan passionné et empli de reconnaissance pour son passé et pour cette « seconde » existence qui lui a été offerte.

Afin de promouvoir son ouvrage auprès du grand public, le Rav accepte de passer sur les plateaux de l’émission « Tout le monde en parle », animée par Thierry Ardisson sur France 2. Après avoir évoqué avec lui son parcours depuis l’enfance jusqu’à sa nomination en tant que Grand Rabbin de France, le journaliste aborde des sujets délicats, abordés dans son livre mais portant à polémique dans une société aux mœurs souvent contraires aux valeurs de la Torah : la pureté avant le mariage, la séparation hommes-femmes dans les synagogues, la démission de la jeunesse face à l’engagement, la contraception, l’avortement, l’homosexualité, le mariage mixte, la laïcité, la légitimité d’Israël… Tant de positions qu’il ne craint pas d’exposer à l’antenne avec force et courage, puisqu’elles ne sont que l’expression d’une Vérité transcendante et éternelle, celle du Créateur.

Ainsi, le mariage est « une façon de promouvoir l’Amour » et non l’inverse. « Les jeunes, aujourd’hui, divorcent trop facilement : dès qu’il y a une difficulté, on arrête. C’est ridicule, parce que la vie elle-même est faite de difficultés. C’est en surmontant l’échec qu’on devient plus grand. » Durant la prière, les hommes et les femmes doivent être séparés, pour que « chacun puisse mieux se concentrer dans ce qu’il est, et non pas dans la différence avec l’autre ». Dans le cadre d’une union « qui ne peut se faire que dans le mariage, la contraception ne peut être utilisée que par la femme et à sa demande ». Le préservatif ne sera permis qu’exceptionnellement, en cas de danger de contamination lors de maladies sexuellement transmissibles, et seulement avec l’accord d’une autorité rabbinique. L’avortement, c’est « disposer d’une vie qui ne nous appartient pas » (là encore, cependant, chaque cas doit être soumis à un Rav compétent). L’homosexualité est « un échec du point de vue de l’égoïsme, parce que être homo, c’est-à-dire être du même sexe, c’est se replier sur soi. Je trouve que le mariage hétérosexuel est une expérience très enrichissante, très belle, et qu’être homosexuel est d’un égoïsme fou, puisque cela veut dire qu’après vous, le monde s’arrête pour ce qui est de la procréation et pour ce qui est de l’enrichissement mutuel ». Le mariage mixte, quant à lui, est « une voie sans issue », parce que voué à l’échec (et même si le couple parvient à tenir, les enfants et petits-enfants sont généralement perdus pour le peuple juif). Le Rav déplore « une laïcité comprise comme une uniformisation, où tout le monde doit être identique » et considère cela comme un appauvrissement : il est, en effet, tout à fait possible de montrer sa différence, sans pour autant ” provoquer ” par des signes trop ostentatoires. La communauté juive est contre l’idée d’un ” communautarisme ” et est un parfait exemple, au contraire, d’intégration depuis plus deux mille ans (les Juifs résidaient en France, déjà à l’époque gallo-romaine) : « Pendant la Révolution française, ils ont inspiré les idéaux des Droits de l’Homme ». Et la communauté a toujours suivi les décisions prises dans le pays, a toujours respecté les lois. Enfin, lors de cette émission mémorable, Rav Sitruk énonce le fait regrettable que les médias ne sont, pour le moins, pas « tendres » avec Israël et que « l’antisionisme, aujourd’hui, prend des relents d’antisémitisme. On parle d’Israël comme si on parlait des Juifs… et ça, c’est une confusion gravissime ». Selon lui, l’état d’Israël n’a certes pas tous les droits, mais il a « ses droits d’exister et d’être respecté ».

 

Le 16 mars 2007, déjà nommé Chevalier depuis quinze ans, le Grand Rabbin Yossef ’Haïm Sitruk est promu au grade supérieur de Commandeur de la Légion d’Honneur, des mains du Président Chirac. Lors de la remise collective des décorations au palais de l’Elysée, le Chef d’Etat fait référence à son charisme et le félicite pour son « militantisme en faveur de la paix dans le monde, contre la pauvreté, l’exclusion et le racisme ».

Bataille pour un quatrième mandat

En février 2008, Rav Sitruk annonce son intention de briguer un quatrième mandat, mais sans faire campagne. Ses défenseurs, pourtant, la mèneront à sa place… Car face à lui, se présente le Rabbin Gilles Bernheim, responsable de la synagogue de la Victoire, celui-là même qui s’était déjà présenté en 1994.

L’engouement du public et le déchainement des médias juifs, notamment par le biais d’internet, est sans commune mesure avec ce qui s’était passé quatorze ans plus tôt. Car, en réalité, comme l’explique parfaitement le site Juif.org, « cette élection est bien plus qu’une opposition entre deux rabbins. C’est une vision complètement différente du judaïsme français et de la communauté juive de France qui est en jeu ». Pour appuyer sa candidature, les Amis du Grand Rabbin mettent en avant le bilan impressionnant de ses actions, en diffusant sur leur site des cours, des conférences et des interviews, et en omettant intentionnellement le sujet des élections. Beaucoup savent que l’attaque cérébrale dont il a été victime lui a valu l’attachement affectif de beaucoup de Juifs qui ont prié et se sont investis spirituellement pour sa guérison.

Pourtant, bien que son parcours soit parsemé de succès évidents et qu’un grand nombre d’élèves lui soient dévoués, ses positions fermes en ce qui concerne la Halakha, ses références constantes aux Sages d’Erets Israël et ses prises de positions face à des faits de société lui valent d’être traité par beaucoup d’ « intégriste ».

A l’opposé, Gilles Bernheim est accusé de « libéralisme » religieux. Pour sa campagne, il emploie les grands moyens. Diffusion en masse de ses écrits, blog personnel proposant des textes, des vidéos et des chats, appel à soutien de la part de personnalités, publicités dans les journaux communautaires. Il joue aussi dans un film, intitulé « 24h dans la vie du Grand Rabbin Bernheim », et qui sera mis sur internet et distribué aux électeurs sur DVD. Mais il se réfère rarement aux Guédolé Hador et n’a aucun lien avec les milieux ’harédim de Bné-Brak. Certains lui reprochent même explicitement ses relations ambiguës avec l’Eglise catholique… Déjà nommé vice-président de l’amitié judéo-chrétienne de France, il a en effet publié en janvier 2008 un ouvrage intitulé Le Rabbin et le cardinal, sous la forme d’entretiens avec le cardinal Barbarin, et ses propos sont vivement mis en cause.

Toujours selon l’analyse de Juif.org, le programme du rabbin Bernheim s’oppose ouvertement et par de nombreux points à l’action directe du Rav Sitruk : pour lui, pas de création d’institution en dehors du Consistoire Central (référence pseudo-cachée au Centre Alef), volonté d’être beaucoup plus à l’écoute des différentes sensibilités du judaïsme (tandis que le Rav a toujours prôné une vision uniquement orthodoxe), une véritable action autour de la Shoah et de son enseignement (alors que le Rav a parfois assimilé la Shoah à une forme de ” punition ” divine déjà annoncée dans les prophéties)…

La bataille fait rage. La communauté française a rarement été aussi passionnément, voire violement, scindée.

 

Finalement, le 22 juin 2008, c’est Gilles Bernheim qui remporte les élections et qui prend la place de Grand Rabbin de France, avec son défi de « modernité ».

 

Rav Yakov Sitruk témoigne, lorsqu’on l’interroge à ce sujet, que la perte de ces élections avait terriblement affecté son père, non pas d’un point de vue personnel, mais parce qu’il se désolait de ne pouvoir poursuivre le travail qu’il entendait continuer.

Dans un sens, il voyait là une sorte d’échec dans sa mission sacrée, celle de ramener le cœur du peuple juif à la Torah. Mais comme toujours, même s’il se sent atteint, le Rav Yossef ’Haïm Sitruk non seulement ne se laisse pas abattre, mais accepte avec amour le décret divin… Lors de son émouvant Hesped à la fin des Chiva, le Rav Yakov a raconté que suite à l’annonce de sa défaite aux élections, son père s’est réfugié dans un mutisme éloquent pendant un moment, puis, sans que personne ne s’y attende, a soudain demandé à ce qu’on l’accompagne sur-le-champ chez une certaine femme hospitalisée et gravement malade. Lorsqu’on lui en a demandé la raison, il a expliqué qu’il est écrit dans la Torah que celui qui se sent humilié, atteint dans son intégrité, et qui malgré tout ne répond pas, ni ne rend le mal qui lui est fait, devient apte à bénir autrui ; on peut lui demander toutes sortes de Brakhot : le mariage, la fécondité, la santé, la réussite… Aussi, s’étant rappelé de cette affirmation, il a décidé d’aller aussitôt bénir cette femme pour une rapide et totale guérison !

La mission continue…

S’il n’est désormais plus « Grand Rabbin de France », Yossef ’Haïm continue d’être un Rav, un guide pour de très nombreux Juifs francophones à travers le monde.

Il poursuit ses cours et conférences – souvent diffusées ensuite par ses élèves sur le net – dans les diverses communautés de France, et jusqu’en Israël où il se rend régulièrement. Il participe également à une chronique hebdomadaire sur les ondes de Radio J.

 

En août 2013, lors d’une vidéo de promotion pour le site israeltorah.com, le Rav lance pour la première fois et à l’étonnement général un appel à la Alya, qui sera ensuite, avec son accord, largement diffusé et visionné : « Tâchez de réaliser que nous vivons une époque extraordinaire. Nous sommes revenus sur la Terre d’Israël, nous sommes à l’aube de l’ère messianique et l’on voit se réaliser tous les jours les prophéties contenues dans les Prophètes et annoncées par nos Rabbanim. Il y a deux possibilités : ou bien l’on regarde passer le train, ou bien l’on monte dedans ! (…) Le génie, c’est d’être là où il faut, au bon moment. Le bon moment, c’est maintenant. Là où il faut, c’est en Erets Israël ! Alors on se donne la main et on fonce tous ensemble ! »

Quelques temps plus tard, lors d’une conférence aux salons Hoche, il réitère et précise la teneur de ses propos précédents : « Oui, à plusieurs reprises, j’ai dit ce que je redis ce soir, à savoir : un, que l’avenir des Juifs est en Israël ; deux, que la situation en France présente pour les Juifs de moins en moins d’intérêt. Je ne parle ni d’antisémitisme, ni d’un quelconque peuple, ou d’un quelconque mal-être économique… Tout cela est vrai, mais ce n’est pas là le problème. Le problème, c’est ” quel avenir nous avons, en France, nous les Juifs ? ” Moi, je dis ” très peu ” ! Voilà pourquoi j’encourage tout le monde à faire sa Alya. MAIS, je donne trois conditions. La première, c’est qu’on ne doit pas faire sa Alya parce que l’on est un ” sioniste convaincu ” qui vibre au son de la Tikva et pleure quand il voit le drapeau blanc flotter dans les airs – ça, je n’y crois pas – mais parce que l’on doit y aller, en étant convaincu par la Torah et en se choisissant un Maître. On a besoin, pour être guidé là-bas, d’un Rav. Celui qui fait sa Alya sans un repère, une référence de Torah, il est perdu. Deuxième condition, il faut qu’il décide dans sa vie d’étudier davantage : tous les jours un peu de Torah, le plus possible. Troisième condition, s’il est marié et a des enfants, il doit les mettre dans des institutions religieuses. A ces trois conditions, je préconise la Alya. Ceci étant dit, la Alya reste une option individuelle, une décision de chacun d’entre nous, quand on se sent prêt, en sachant toutefois que c’est par là qu’il faut s’orienter… »

Dans une interview accordée au journal Le P’tit Hebdo, le Rav Yakov Sitruk confirme, lui aussi, que telles étaient bien les convictions de son père et ce qu’il lui a transmis : « Plutôt que de commenter ce qu’on a dit de lui en public, je voudrais souligner ce qui s’est passé en privé : il a envoyé tous ses enfants commencer leur vie en Israël, certains sont restés, d’autres repartis, pour des raisons personnelles. Mais il a voulu nous faire démarrer nos vies ici. Il m’a toujours dit une chose : ” l’histoire c’est là-bas qu’elle se passe, pas ici. ” Quand je me suis marié, au bout de quelques années ici en Israël, j’avais un rêve : retourner en France et faire du rabbinat avec lui. Il m’a dit : ” mon fils, quelle que soit ta décision, je t’aiderai, mais je ne la prendrai jamais à ta place. Je peux te donner des conseils, mais je ne te dirai pas quoi faire. Mais à ta place, je ne retournerai pas en arrière, j’irai dans le sens de l’histoire “. Et il avait complété : ” Si c’était à refaire, c’est en Israël que je le ferais. Je sais ce que j’aurais été si j’avais été en Israël. ” »

Le combat contre la maladie… et pour le Emeth

A la fin de l’année 2012, le Rav apprenait qu’il était atteint d’une tumeur cancéreuse au visage et subissait une intervention chirurgicale en vue de son ablation, puis un traitement de six semaines de radiations. En janvier 2013, les séances de radiothérapie étaient renouvelées et augmentées au nombre de vingt. Le Rav demandait que l’on prie pour lui.

Malheureusement, un an plus tard, en janvier 2014, sa santé se dégrade à nouveau et Rav Yakov se voit contraint de lancer un appel vidéo pour une prière mondiale, fixée à une certaine date et à une certaine heure, pour le rétablissement de son père.

Dans les Cieux, une bataille semble engagée. Les prières ardentes du Peuple Juif, certainement, ébranlent les mondes supérieurs et la vie du Rav est alors préservée. Mais la lutte n’est malheureusement pas finie… Plus de deux ans s’écoulent et la tumeur au visage revient, Rav Yossef ’Haïm doit de nouveau subir de lourds et pénibles traitements.

Rav Yakov lance un nouvel appel vidéo, en avril 2016. « Je reviens vers vous pour un message similaire à la dernière fois. Notre père est confronté à des problèmes de santé, qui sont pour lui un combat de chaque instant. (…) A nouveau, il a besoin de nos Téfilot. Son combat implique que nous l’aidions et le seul moyen de l’aider véritablement, c’est par la Téfila et par les Mitsvot. Contre tout avis médical, nous savons que c’est Hakadoch Baroukh Hou qui dirige, c’est Lui qui décide et Il est capable de tout. Et peut-être veut-Il à nouveau entendre nos Téfilot et nous entendre Lui demander la Réfoua Chéléma pour notre père (…). Il avait l’habitude de jeûner la veille de Roch ’Hodech ; nous avons donc décidé de lancer un appel pour que ce mois-ci, tous ceux qui le peuvent se joignent à nous pour jeûner, toute la journée ou même une partie de la journée, pour son mérite et sa guérison complète. Nous vous demandons également, dans une mobilisation générale, que toute personne qui doit réciter la Brakha de Acher Yatsar le fasse avec une concentration supplémentaire et en demandant que, par ce mérite, Hachem lui envoie la Réfoua Chéléma. Nous vous demandons également de prier de toutes les façons possibles, à tout moment, et à tous les endroits ».

La semaine suivante, le Rav Yossef ’Haïm lui-même, grandement affaibli et atteint physiquement, lance un message vidéo particulièrement émouvant et douloureux pour tous ceux qui le visionnent : « Mes chers amis, je tiens à remercier tout le monde d’avoir fait des efforts la semaine dernière pour ma Réfoua, pour toutes ces personnes qui ont pris sur elles d’observer le Chabbat, la Tsniout et d’autres Mitsvot fondamentales qui ont certainement beaucoup aidé. J’ai encore besoin de vos prières, mais je suis persuadé que la situation ne fera que s’améliorer… »

 

Peu après, en juin, il s’exprime d’une voix chancelante – mais incontestablement empreinte de la conviction la plus absolue – sur les ondes de radio J. à propos de la Gay Pride qui se déroule à Tel-Aviv :

« La Torah qualifie l’homosexualité d’abomination et d’échec de l’Humanité. Israël, par cette manifestation, se trouve rabaissée au rang le plus vil. Je n’hésite pas à qualifier cette initiative de tentative d’extermination morale du peuple d’Israël. J’espère que les auditeurs écouteront mon appel au secours et réagiront de façon radicale à une telle abomination ».

Cette déclaration fait l’effet d’une bombe. Un an auparavant, lors de la marche homosexuelle à Jérusalem, une jeune femme de 16 ans a été poignardée à mort par un juif se disant ultra-orthodoxe, et les propos du Rav sont aussitôt interprétés par certains comme une nouvelle incitation à la violence physique, déclenchant une tempête médiatique. Alors que, bien évidemment, le Rav ne demandait qu’une réaction symbolique – telle qu’une manifestation d’opposition ou une condamnation verbale publique –, comme il l’exprime lorsqu’on lui rapporte les réactions virulentes suscitées par ses paroles : « Ils n’ont pas compris. C’est tellement loin de ce que j’ai dit, tellement contraire à tout ce que j’ai toujours enseigné !! Il ne faut pas y prêter attention… »

Pourtant, malgré le détachement apparent du Rav, l’affaire prend des proportions alarmantes. Certaines personnes vont, que D. nous protège, jusqu’à le maudire en souhaitant sa mort ! Le Beit ’Havérim, importante association mixte d’homosexuels juifs de France, s’indigne et envisage des poursuites judiciaires, mais finit par se rétracter en choisissant de « privilégier le dialogue avec les autorités religieuses » et en organisant un débat sur la place de l’homosexualité dans le judaïsme, au Centre Communautaire de Paris, en présence de l’actuel Grand Rabbin de France ’Haïm Korsia. Quatre mois plus tard, début septembre 2016, c’est finalement SOS Homophobie qui dépose plainte, sans constitution de partie civile, pour « incitation au crime en raison de l’orientation sexuelle ». Depuis, Radio J., dont la responsabilité a été évoquée, a retiré l’enregistrement de son site.

D’une foi inébranlable, le Rav, non seulement n’est jamais revenu sur ses paroles, mais a déclaré à son entourage : « Le Emeth, on ne peut pas le changer ! »

 

 

Rav Yossef ’Haïm Sitruk a affronté tous les Issourim, toutes les épreuves avec bravoure et avec amour envers le Créateur. Même dans les pires moments, il n’a jamais sorti une seule plainte, une seule revendication. Lorsque ses proches lui demandaient s’il avait mal – et il était alors évident qu’il souffrait – il répondait : « Non, je n’ai pas mal ». La Emounah extraordinaire, le Bita’hon hors du commun dont il a fait preuve durant les derniers mois de sa vie a été un exemple vivant pour tous ceux qui l’ont côtoyé.

Retenons les paroles vibrantes et percutantes du Rav Mordekhaï Fresh, mari de Myriam, qui a cité les versets de la Guémara Guittin pour parler de son beau-père :

« Ceux à qui l’on fait de la peine et qui ne le rendent pas, ceux sur qui l’on dit du mal et qui ne répondent pas, ceux qui font toutes les Mitsvot avec amour et qui se réjouissent même dans les souffrances, Hakadoch Baroukh Hou les aime comme la splendeur du soleil dans toute sa force. (…) Le Rav Chakh disait que l’or a la particularité de ne jamais s’abîmer. Même s’il paraît dégradé en surface, il ne se détériore jamais. Il suffit de frotter un peu et aussitôt, l’éclat de l’or revient à la surface. Rav Yossef ’Haïm, durant ses dernières années et à fortiori ces derniers mois, a beaucoup souffert. Il était, certes, amoindri physiquement… Mais ce n’était que la surface. Il suffisait d’enlever, d’occulter l’enveloppe extérieure, et l’on retrouvait l’éclat de l’or du Rav. »

Cet éclat d’or pur, peut-être était-ce le Emeth qui brillait si puissamment en lui. « Il fascinait les gens, parce qu’il était VRAI » a déclaré Rav Yakov.

 

Nous avons parlé plus haut de son attachement profond à la Téfila et combien elle avait de valeur à ses yeux. Dans ce domaine encore, l’exemple vivant qu’il donnait était impressionnant. Durant ses dernières années, alors qu’il était très faible, il s’agrippait à son Stender et s’obligeait à rester debout durant toute la répétition de la Amida, tandis que de nombreuses personnes s’assoient dès la fin de la Kédoucha, comme cela est permis. « Un exemple qui illustre encore, a expliqué son gendre le Rav Berdah, le fait qu’il se représentait constamment Hachem devant lui, comme David Hamelekh tel qu’il l’exprime dans les Téhilim. Pour la même raison, il lui était impossible de dire une seule parole de Lachone Hara ». Tous, parmi les membres de sa famille ont pu témoigner n’avoir jamais entendu le Rav médire sur autrui. Le Rav Yakov a affirmé que cela faisait partie de leur ’Hinoukh, de l’éducation qu’il leur donnait. A la table de Chabbat, on pouvait parler de tout… sauf du Lachone Hara ! « A ses enfants, il interdisait de dire des paroles de médisance et si jamais on commettait l’erreur d’en dire, il se mettait vraiment en colère – chose qui était rarissime chez lui. » A l’extérieur, lorsque certaines paroles inadéquates se présentaient, il esquivait.

L’on pourrait penser que le Rav se retenait de parler… mais qu’il n’en pensait pas moins, sur certaines personnes et certaines actions. Ce serait une grossière erreur ! Aux derniers moments de sa vie, lorsque ses proches lui ont demandé s’il souhaitait exprimer quelque rancœur gardée au fond de lui pour « soulager sa conscience » et peut-être pardonner, il a eu beau réfléchir et chercher : « Non, a-t-il répondu, je n’en veux à personne. Absolument personne. » Inutile de s’étendre sur l’ampleur du travail sur soi qu’a dû effectuer le Rav pour arriver à cette Madréga, à ce niveau exceptionnel, disons même contre-nature, de sainteté.

 

Il y a tant à apprendre des paroles et des comportements du Rav Yossef ’Haïm ! Rav Yakov nous a cependant livré trois points essentiels à retenir. Trois piliers, trois phares, qui définissaient pleinement la personnalité et la grandeur de son père, de notre père à tous.

La recherche du Chalom, alliée au refus du Lachone Hara.
La confiance totale en la parole des Rabbanim.
L’étude de la Torah.
Son attachement aux Guédolim de la Génération était en effet exemplaire. Il allait les consulter à chaque moment-clé de sa vie et pour chaque décision importante – même lorsqu’il lui était devenu difficile de se déplacer, il n’hésitait pas à prendre l’avion pour les interroger. Le Rav Yakov a rappelé que les Rabbanim ne disent pas toujours ce que nous avons envie d’entendre… Il est parfois facile de se dire qu’ils ne se sont prononcés que pour un cas bien particulier qui ne nous concerne pas vraiment, ou bien qu’ils sont trop « exigeants », ou un peu « déconnectés » du monde actuel… Il est facile d’inventer toutes sortes d’excuses pour ne pas suivre leur avis, lorsqu’il ne nous convient pas. Mais le Rav Yossef ’Haïm, lui, se rangeait à leurs décisions sans jamais se poser la moindre question, sans jamais remettre leurs paroles en doute. Même lorsque la conduite à tenir n’était pas celle qu’il avait prévue, attendue, ou même ardemment espérée. Et même lorsque cela pouvait sembler injuste ou défier toute logique. Pour lui, il n’y avait tout simplement pas à discuter ! Une fois la réponse du Gadol donnée, le dossier était définitivement classé…

 

En ce qui concerne l’étude de la Torah, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper qu’elle représentait toute sa vie ! Comme la souligner son frère aîné Sion Sitruk lors des Hespédim, le Rav se plaisait à dire qu’il était un « allumeur de réverbères » : « Il y a, chez les jeunes surtout, d’immenses besoins de spiritualité, et je porte la flamme là où elle est le plus nécessaire ». Mais il disait aussi : « Je vous allume une flamme, mais si vous ne l’entretenez pas en étudiant la Torah, cela ne sert à rien ! » C’était cela pour lui l’essentiel, le Limoud Hatorah. Il disait encore : « La synagogue n’a pas d’avenir. Le seul avenir, c’est le Beth Hamidrach ! Et la vraie valeur d’un homme dépend de son Limoud ». Au jeune marié, sous la ’Houpa, il affirmait souvent : « Le plus beau cadeau que tu puisses faire à ta femme, c’est de revenir tous les jours à la maison avec les enseignements que tu as étudiés ».

 

Le Daf Hayomi faisait partie de sa vie. Fondé par le Rav Meïr Shapira de Lublin en 1923, ce concept d’étude est aujourd’hui adopté par des milliers de Juifs, dans le monde entier. Il s’agit d’étudier une page de Guémara recto-verso chaque jour, quel que soit l’endroit où l’on se trouve –  la même page pour tout le monde –, le but étant de finir un cycle d’étude complet du Chass, puis de recommencer. C’est une sorte de planning d’étude unissant tous les Juifs du globe, de tous âges et de toutes nationalités. En étudiant une Daf, une page, par jour, il est possible de finir l’étude du Chass en sept ans et demi environ.

Rav Yossef ’Haïm avait commencé l’étude du Daf Hayomi en avril 1975, à Strasbourg, finissant son premier cycle en novembre 1982 à Marseille. En 1989, il achevait son deuxième cycle à Paris, puis le troisième en 1997. Soit trois cycles ininterrompus de l’étude du Chass ! A son plus grand regret, le quatrième fut brusquement suspendu par son AVC en 2201, et ce n’est que deux ans et trois mois plus tard, en 2004, qu’il fut en état de reprendre l’étude soutenue du Daf Hayomi. Non seulement il reprit le rythme, mais il se mit en tête de rattraper son retard accumulé – 821 pages exactement – en ajoutant quatre pages à son étude quotidienne !

Rav Berdah – chez qui il a vécu les deux dernières années de sa vie – a témoigné, avec beaucoup d’émotion, avoir vu Rav Yossef ’Haïm, au comble de l’épuisement, réclamer sa Guémara parce qu’il n’avait pas fini l’étude de sa Daf ! Il avait envers lui-même et envers sa propre étude cette exigence absolument stupéfiante. « Tel Chmouel Hanavi qui parcourait le pays de ville en ville pour répandre la parole d’Hachem, le Rav Sitruk est parti de ville en ville pour allumer la Torah qu’il y avait dans le cœur de chaque Juif à travers la France et d’autres pays d’Europe… Mais après tout cela, lorsque le « faste » s’est terminé, qu’a-t-il fait ? A quoi s’est-il occupé lorsque son rôle public a pris fin ? Il a ouvert sa Guémara et il est retourné à ce qui était essentiel pour lui : le Limoud Hatorah ».

« Chaque fois que j’étudie une page de Talmud, disait Rav Yossef ’Haïm, j’ai le sentiment d’avoir un pied dans le lendemain. Parce qu’on ne termine jamais d’étudier, et que l’on peut, sa vie durant, lire, interpréter, commenter le Talmud, ses traditions, ses innovations, ses digressions sans jamais l’épuiser. C’est une tâche infinie, pas seulement celle d’une vie, mais celle des générations que se suivent et se parlent par le biais des Textes. Chaque verset de la Torah renferme un trésor, chaque phrase contient un enseignement et chaque mot recèle un message. » (Rien ne vaut la vie – p.153)

A l’occasion d’une conférence donnée à Saint-Brice, dans la communauté du Rav Ghénassia, il a d’ailleurs exprimé cette passion qui vibrait en lui : « Le seul moyen de ne pas ressentir de mélancolie à la sortie du Chabbat, au moment du départ de la Néchama Yétéra (âme supplémentaire que nous recevons pendant le jour saint), c’est d’étudier la Torah ! Parce qu’elle restaure l’âme, elle donne à l’homme des forces. Quand on étudie la Torah, on n’est jamais triste ! »

 

Le 25 septembre 2016, l’âme pure de Rav Yossef ’Haïm Sitruk est retournée auprès de son Créateur pour jouir de Sa Splendeur. Et bien qu’à son souvenir, la tristesse puisse nous étreindre, nous ne devons pas nous laisser aller à la mélancolie.

Comme l’a souligné Rav Yakov, il serait légitime de nous demander ce que sont devenues toutes les Téfilot que nous avons faites pour sa guérison. A quoi ont-elles finalement servi ? Tout d’abord, il est important de noter que le Rav Yossef ’Haïm lui-même disait que c’était très certainement grâce à ces Téfilot qu’il avait survécu à son AVC de 2001 et qu’il était encore resté près de nous si longtemps. Ensuite, comme l’a dit très justement un Rav pendant les Chiva : « Allez savoir si les prières que nous avons faites pour sa Réfoua Chéléma ne sont pas plus grande que la Réfoua elle-même ! » Il est certain que toutes ces prières n’ont pas été vaines, que le mérite de cette Akhdout extraordinaire qu’il a suscitée lui est acquise. Et Rav Yakov a exprimé l’idée que toutes ces prières pour la « Réfoua Chéléma » vont se transformer en prières pour la « Téchouva Chéléma » du peuple tout entier.

N’oublions pas que le Rav nous a justement quittés dans cette période de Téchouva, durant les jours des Séli’hot qu’il chérissait tant…

 

Suivons l’appel du Rav Yakov, adressé à tous ceux qui considère le Rav Yossef ’Haïm comme leur Rav : « De la même façon qu’il a écouté ses Rabbanim les yeux fermés, nous nous devons d’écouter et de suivre ses enseignements… »

N’ignorons pas le précieux conseil de son gendre, le Rav Berdah : « Il était en attente du meilleur de chacun d’entre nous, parce qu’il a donné le meilleur de lui-même. Et après toutes ces années, ces décennies de don de soi absolu, la question se pose de savoir ce que nous, nous pouvons lui apporter en retour. Si grâce à ses paroles, son exemple, nous décidons d’avancer, de progresser et de faire éclore ce qu’il y a de meilleur en nous, alors nous lui rendrons un peu du Bien qu’il nous a fait ».

Les cours du rav