Avant-propos (suite)
Il est important de savoir pour quelle raison cet interdit (lav) est tellement ignoré par autant de personnes. J’y ai longuement réfléchi et il me semble que cela tient à plusieurs raisons, que ce soit pour la majorité des gens comme pour ceux qui sont versés dans l’étude de la Torah. Le commun des mortels tout d’abord ne sait tout simplement pas qu’il est interdit de dire du lachon haRa, même en ce qui concerne un fait avéré. Quant à ceux qui sont versés dans l’étude de la Torah, même ceux qui savent qu’il est interdit de dire du lachon haRa vis-à-vis un fait avéré, il arrive à certains d’être trompés par leur yétser haRa (le penchant au mal) de différentes manières : premièrement, parce qu’il arrive que le yétser haRa les pousse à considérer untel comme un imposteur et à dire du mal de lui, leur faisant même croire que c’est une Mitsva de faire savoir aux autres qui est un imposteur et qui, un renégat. Par ailleurs, le yétser haRa leur parle parfois de la sorte : « Celui-là cherche toujours la querelle, il est donc permis de médire à son égard ». Mais parfois aussi, le yétser haRa les laisse croire qu’il est permis de dire du lachon haRa dans des cas où cela semble à première vue permis, comme devant trois personnes (étéra déApé tlata) ou dans le cas où celui qui médit atteste qu’il serait même capable de proférer ces paroles devant l’intéressé (étéra biFné haMédoubar) ; pour toutes ces questions, on se reportera plus loin aux chapitres 2, 3 et 8. Parfois encore, le yétser haRa leur fait croire qu’il ne s’agit pas vraiment d’un lachon haRa avéré dans la mesure où, par exemple, tout le monde dit d’untel qu’il est un imbécile ; comme nous l’avons expliqué au chapitre 5.
Pour résumer, le yétser haRa utilise donc l’une des deux méthodes suivantes : soit il fait croire qu’il ne s’agit pas de faits entrant sous l’interdit du lachon haRa, soit que la Torah n’a pas interdit de dire du lachon haRa sur un genre bien particulier de personnes incriminées.
Et si le yétser haRa constate qu’il n’est pas parvenu à ses fins, il change alors son fusil d’épaule en poussant celui sur lequel il a jeté son dévolu à se comporter avec une exigence démesurée, et en lui faisant croire que tout ce qu’il pourrait dire entre sous l’interdit du lachon haRa. Si bien que, ce dernier estimant qu’il est dans l’impossibilité de vivre normalement, il croit qu’il doit désormais se retirer de la communauté des hommes. C’est de cette manière en effet que le serpent s’est comporté, comme il est dit : « L’Eternel a dit que vous ne deviez manger d’aucun arbre du jardin » (Béréchit 3, 1) [alors que seul l’arbre de la connaissance du bien et du mal était interdit à la consommation].
Par ailleurs, une grande partie des gens ne savent pas non plus qu’il est interdit d’accepter un lachon haRa comme une vérité absolue, alors qu’il est même interdit d’y consentir en son cœur et qu’il est seulement permis d’émettre de se méfier pour vérifier l’information entendue (cf. Traité talmudique Nida, p.64/a). Tout comme ils ne savent pas de quelle manière réparer ce genre de fautes après avoir proféré ou toléré une calomnie (lachon haRa) ou un colportage (rékhilout).
C’est donc pour ces différentes raisons que cet interdit passe inaperçu, tant il est vrai qu’une grande majorité de gens s’y est habituée. Et si quelqu’un demandait à celui-là pourquoi il profère du lachon haRa ou fait de la rékhilout, il se répondrait sûrement à lui-même qu’il se comporte en homme intègre (tsadik) et pieux (‘hassid), refusant d’accepter les reproches qu’on lui fait pour la simple et bonne raison que tout le monde se comporte de cette manière.
De plus, si cette situation a été rendue possible, c’est aussi parce qu’il n’existe aucun ouvrage qui rassemble les interdits du lachon haRa et de la rékhilout, et qui explique leur signification dans le détail. Toutes ces notions sont en effet dispersées dans les textes de notre tradition, du Talmud aux Richonim, et même le Rambam (dans le septième chapitre des « Hilkhot Déot ») et Rabbénou Yona (dans son « Chaaré téchouva »), bien qu’ils nous aient ouvert la voie pour mesurer le sens et la gravité de cet interdit, se sont montrés d’une extrême concision, comme c’est l’habitude des Richonim ; et enfin, il existe un grand nombre de règles (dinim) qu’ils n’ont tout simplement pas mentionnées dans leurs ouvrages, comme nous le verrons plus loin.